Je profite du calme estival pour publier discrètement une petite note d’humeur qui va certainement « ne pas me faire que des amis ». Cette réflexion se situe dans le prolongement d’un précédent billet où je me félicitais des clarifications apportées par la récente circulaire à propos du partenariat entre l’Etat et les associations.
La circulaire du 18 janvier 2010 liberticide ?
Il circule actuellement dans certains milieux associatifs une pétition dénonçant les atteintes aux libertés associatives dont se rendraient coupables les pouvoirs publics, notamment avec la promulgation de la circulaire du 18 janvier 2010 signée du Premier Ministre (ici un exemple du discours). Les colonnes d’un quotidien national accueillaient récemment une tribune, signée d’un élu parisien, se demandant « qui veut la mort de la liberté associative ? » et désignant également la malheureuse circulaire primo-ministérielle à la vindicte populaire.
Le thème général de la diatribe serait que cette circulaire, en reprenant les exigences du droit européen, assujettirait les associations à un cadre réglementaire tellement asservissant, qu’on en remettrait par là en cause le principe même posé à l’article premier de la loi de 1901. L’intention des pétitionnaires est également dirigée contre Bruxelles, qui jouerait la banalisation du secteur non lucratif, sous prétexte de mesures libérales destinées à favoriser la concurrence.
Permettez-moi de rigoler…
Moins de 10% des associations loi 1901 concernées
Il faut bien se rendre compte que l’essentiel du secteur associatif n’entendra jamais parler de la circulaire du 18 janvier, ni ne verra jamais le moindre effet du nouveau cadre réglementaire qu’elle impose.
Les dispositions critiquées dans la circulaire concernent les associations bénéficiant de subventions pour des montants significatifs : plus de 200.000 euros sur 3 ans. A la louche, j’estime que cela concerne moins de 100.000 structures sur le gros million d’associations 1901 fonctionnant en France. Pour la plupart, ces « associations » sont de proches partenaires des pouvoirs publics. L’essentiel se situe dans le secteur sanitaire et social et à la périphérie des administrations territoriales (il s’agit peu ou prou des acteurs désignés ici sous le terme d « associations gestionnaires« ).
L’immense majorité des associations (pas moins de 900.000 structures) peut donc se rassurer ; parce qu’elle ne bénéficiera jamais d’aucune aide publique, elle reste à l’abri du nouveau carcan réglementaire.
Des structures qui n’ont rien à voir avec la liberté associative
90% des subventions au secteur associatif vont à des « grosses » associations dont le budget est supérieur à 300.000 euros et qui conduisent des quasi-missions de service public pour le compte de l’Etat ou des collectivités. Toutes les études montrent la concentration des financements publics sur quelques dizaines de milliers de structures, pas plus. Ce sont ces structures qui sont concernées par la circulaire, pas les danseurs folkloriques, ni les Vététistes ou les joueurs de boules.
Ces associations partenaires des pouvoirs publics n’en sont pas en réalité ; elle n’ont de 1901 que l’étiquette. Pas de cotisations, ni d’adhérents identifiés, une présence homéopathique du bénévolat ; des structures souvent créées à l’initiative de l’administration ou des élus, disposant d’une autonomie réduite, quelques fois même assujetties à des contraintes de service public et dont le fonctionnement est toujours confié à une équipe entièrement professionnalisée. Bref, pas grand-chose à voir avec la liberté associative et tout le contraire de l’esprit de la loi de 1901 qui promeut la mise en commun des initiatives individuelles et pas la délégation de service public.
Des associations fonctionnarisées au service de l’intérêt général
Il se trouve en France que de nombreuses missions d’intérêt général sont confiées à des structures relevant de la loi de 1901. De multiples raisons expliquent cette réalité sociologique, mais elle est indéniable et constitue un particularisme français. Depuis des décennies, les pouvoirs publics ont trouvé de nombreux avantages à emprunter le véhicule associatif pour loger des activités d’intérêt général, voire des missions de service public. Dans son dernier ouvrage, Mathieu Hély a montré comment des pans entiers de la société française (le sport, le tourisme et l’éducation populaires, par exemple) se sont structurés sous l’égide de la loi de 1901.
Ces « fausses » associations sont de véritables auxiliaires des pouvoirs publics : elles vivent essentiellement de subventions et cela paraît normal tant leur rôle est complémentaire de celui de l’administration. Avec cette petite centaine de milliers d’associations concernées par les exigences européennes, on a en fait affaire avec un discret secteur para-public, dont la vocation est de compléter, voire se substituer aux pouvoirs publics, notamment au plus près des citoyens et dans des domaines aussi fondamentaux que la santé ou la régulation sociale.
Dans la mesure où ces associations sont « fonctionnarisées », parce qu’au service de l’intérêt général et vivant essentiellement de fonds publics, il n’est pas illégitime de poser la question de leur gouvernance et de leur régulation. En soi, cela ne constitue pas une atteinte aux libertés fondamentales du citoyen, mais une exigence de bon sens, -à l’heure où l’argent se fait rare.
Gouvernance des associations bénéficiaires de subventions publiques
La question de la gouvernance et de la régulation des associations partenaires des pouvoirs publics reste à mon sens toujours posée. Je ne manque pas de m’inscrire en faux contre l’idée souvent propagée que le secteur associatif croulerait sous les multiples contrôles et obligations diverses et que toute tentative d’améliorer la régulation mettrait en péril l’ensemble du système.
S’il est difficile de décréter ex abrupto si ces associations fonctionnarisées sont trop ou pas assez contrôlés, on constate souvent sur le terrain des situations insatisfaisantes : anarchie fonctionnelle, gestion laxiste, situation financière catastrophique ou thésaurisation excessive, avantages abusifs, défaillance du contrôle interne sont des maux récurrents dans certains secteurs associatifs. Or je pense que l’utilité sociale est indissociable d’une gestion rigoureuse et transparente : je l’ai écrit ici.
Des exigences de bon sens
Alors concrètement quelles sont ces nouvelles exigences imposées par le despote bruxellois, qui menaceraient notre liberté associative ?
Je cite la circulaire : « [La structure bénéficiaire des fonds publics doit être] explicitement chargée, par un mandat d’intérêt général d’exécuter des obligations de service public clairement définies dans leur consistance, leur durée et leur étendue. La compensation financière, calculée sur une base préalablement établie, est strictement proportionnée au coût occasionné par l’exécution des obligations de service public assurées. Elle est périodiquement contrôlée et évaluée pour éviter la surcompensation » (voir plus de détail ici).
Peut-on m’expliquer ce qu’il y a d’insupportable là-dedans ? Personnellement je n’y vois que des exigences de bon sens, aptes à garantir la sécurité juridique des associations et à prévenir certaines situations d’abus :
1/Les associations partenaires des pouvoirs publics doivent avec eux préciser clairement la mission qui leur incombe (conclusion d’un mandat d’intérêt général).
2/La contribution financière de l’administration doit être préalablement définie et calculée de manière juste, notamment de manière à éviter toute situation de rente ou enrichissement sans cause de la part de la structure bénéficiaire des subventions (surcompensation).
François G. says
Merci Laurent
Pour ce billet pertinent, comme bien souvent.
Il se joue en effet beaucoup de choses derrière la "rhétorique associative", surtout dans les grosses associations employeurs, donc surtout le secteur social et médico-social.