Cet article a été écrit en 2012 ; il reste malheureusement d’actualité.
Une récente réponse ministérielle a jeté l’effroi dans le petit monde des AMAP (un monde qui m’est cher !), le Ministère des Finances considérant que l’activité de ces Associations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne était « lucrative » au sens de la doctrine fiscale et devait à ce titre être assujettie aux impôts commerciaux (IS, TVA et CET).
Que faut-il penser de cette réponse (à consulter en intégralité ici) ? Quels sont les enjeux en cause ? Faut-il trouver un moyen pour échapper à tout prix à cet assujettissement ? Je donne ici un avis tout personnel que l’on ne prendra pas comme une consultation juridique mais plutôt comme l’exposé de pistes de réflexion.
Je note au passage que cette histoire de fiscalisation des AMAP relève un peu du serpent de mer. J’en parlais déjà sur ce blog en mai 2007. Entretemps, à ma connaissance, aucune AMAP n’a déposé son bilan et cessé ses activités à cause d’un redressement fiscal.
La réponse ministérielle, une source mineure dans la hiérarchie des normes juridiques
Tout d’abord, il faut raison garder. Il ne s’agit que d’une réponse ministérielle. Dans la hiérarchie des normes juridiques, ces réponses faites par les services ministériels aux questions des parlementaires occupent une place tout à fait modeste et ne sont pas à proprement parler source de droit. La publication de cette réponse n’implique nullement que les services des impôts se mettent désormais en chasse pour procéder systématiquement au contrôle fiscal de toutes les AMAP sur le territoire. Par ailleurs, en matière fiscale, les réponses ministérielles expriment l’avis de l’administration et c’est n’est qu’un avis. Le juge de l’impôt serait seul habilité à dire si l’assujettissement des AMAP aux impôts commerciaux est légal ou pas.
Donc pas de panique : que je sache, les AMAP n’ont pas encore été victimes d’une vague déferlante de contrôles fiscaux. Pour autant -et je suis en cela d’accord avec le MIRAMAP-, il faut faire attention au précédent car pour les services des impôts, cette réponse ministérielle constitue malgré tout une « petite » base juridique et une certaine incitation pour lancer des contrôles.
Une doctrine fiscale ancienne et bien établie
Que dit la réponse du Ministre ? Je cite sans modifier :
[…]Il convient également de s’assurer qu’il n’y a pas de relations privilégiées avec des entreprises qui en retirent un avantage concurrentiel. Ainsi, un organisme qui permet aux professionnels de réaliser une économie de dépenses, un surcroît de recettes, ou de bénéficier de meilleures conditions de fonctionnement, est considéré comme lucratif, quand bien même cet organisme ne rechercherait pas de profits pour lui-même. Les Associations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne (AMAP) ont pour objet de créer un lien direct entre un exploitant et des consommateurs, qui s’engagent à acheter la production de celui-ci à un prix équitable permettant au producteur de couvrir ses frais de production et de dégager un revenu, tout en étant abordable par le consommateur. Une AMAP, en assurant à un professionnel l’écoulement de sa production par la mise en relation (même sans commission) des adhérents avec l’agriculteur, participe au développement économique de l’exploitation.
Il s’agit ici d’un condensé de la doctrine de l’administration fiscale en matière d’assujettissement des organismes à but non lucratif qui est exposée dans la célèbre instruction administrative du 18 décembre 2006.
87. En revanche, l’organisme est en principe soumis à l’impôt sur les sociétés, à la taxe professionnelle et à la taxe sur la valeur ajoutée s’il entretient des relations privilégiées avec des organismes du secteur lucratif qui en retirent un avantage concurrentiel étant précisé que tout organisme qui exerce des activités au profit d’entreprises n’entretient pas pour autant systématiquement des relations privilégiées avec les entreprises.
89. Est donc lucratif un organisme qui permet de manière directe aux professionnels de réaliser une économie de dépenses, un surcroît de recettes ou de bénéficier de meilleures conditions de fonctionnement, quand bien même cet organisme ne rechercherait pas de profits pour lui-même.
Cette doctrine est elle-même issue de la jurisprudence du Conseil d’Etat (juge de l’impôt) qui au travers de nombreuses décisions s’est employé à assurer l’égalité devant la charge fiscale, en taxant des associations loi 1901 constituées par des entreprises pour servir de prolongement ou de ressources à leurs activités commerciales.
Une relation privilégiée, un avantage concurrentiel
La vraie question -celle qui, je pense, serait examinée par le juge si un contentieux fiscal était déclenché à ce sujet-, c’est de savoir si les AMAP permettent la mise en place d’une relation privilégiée au profit du producteur, de nature à lui procurer un avantage concurrentiel.
Notons au passage que l’argument selon lequel le producteur est en relation contractuelle avec l’adhérent et non avec l’association me paraît faible, voir inopérant. En effet, ce qui est pris en compte c’est que l’association -par son existence- constitue un débouché commercial pour le producteur.
Pour répondre à cette question, il faut distinguer entre les vraies AMAP et les fausses. Le fonctionnement des vraies AMAP consiste à pré-acheter à un producteur tout ou partie de sa récolte, en supportant avec lui les aléas économiques de la production (voir ici la charte des AMAP).
Ce transfert (partiel) du risque économique du producteur sur le consomm’acteur procure bien un avantage concurrentiel à l’agriculteur et caractérise -selon moi- une relation privilégiée. Cette relation privilégiée est d’ailleurs la raison d’être des AMAP dont le projet consiste à soutenir des producteurs, en instaurant avec eux une relation qui dépasse le simple rapport marchand.
Les fausses AMAP (rien de péjoratif dans ce « faux », le système est différent, c’est tout) fonctionnent comme un groupement d’achat. Elles réunissent des adhérents qui regroupent leurs achats auprès d’un producteur. Entre les adhérents et le producteur se noue une relation commerciale quasi normale (d’un point de vue juridique au moins, sur le plan social, c’est différent, nous sommes bien d’accord), le consommateur payant ce qui lui est livré. Il n’y a donc ici aucun avantage concurrentiel procuré au producteur.
Quelques pistes pour réfuter la thèse de l’assujettissement
Personnellement, je fouillerais dans deux directions pour faire valoir la spécificité des AMAP et argumenter en faveur de leur exonération des impôts commerciaux.
Tout d’abord, toutes les jurisprudence du Conseil d’Etat que l’on cite habituellement à propos de cette situation où une association constitue le prolongement de l’activité commerciale d’entreprises, toutes ces décisions relèvent que « l’association constitue le prolongement de l’activité de ses membres » . Il s’agit toujours (sauf erreur de ma part) d’associations loi 1901 constituées par des entreprises qui en sont les adhérents. Or tel n’est pas le cas dans une AMAP. L’association n’est que très rarement constituée à l’initiative de producteurs et ils n’en sont pas en général membres, au sens du droit associatif. Dans une AMAP, les membres sont les consomm’acteurs, qui fournissent les ressources bénévoles et occupent les fonctions dirigeantes.
La nuance est importante car le fait que les producteurs n’aient rien à voir avec la création et le fonctionnement de l’association empêche selon moi de considérer que l’objet de l’association est de permettre le développement de l’activité commerciale des producteurs. L’objet de l’association est avant tout de fournir un cadre alternatif à des particuliers pour leurs approvisionnements alimentaires. Ce cadre implique certes une relation privilégiée avec le producteur mais celle-ci est à l’initiative du consommateur qui revendique un échange équitable ; il ne s’agit donc pas d’une stratégie délibérée du producteur pour se procurer un avantage concurrentiel.
Sur un terrain similaire, il faut signaler une exception au principe d’assujettissement des associations entretenant des relations privilégiées avec des entreprises au profit des structures dont les activités relèvent de la défense collective des intérêts moraux ou matériels des membres autres que des professionnels (instruction fiscale du 18 décembre 2006 citée plus haut, § 90). Il faudrait creuser un peu cette notion pour voir comment reformuler l’objet statutaire des AMAP autour de la dimension militante du circuit court. Je conçois que c’est un peu tiré par les cheveux, mais çà mérite d’être étudié.
L’assujettissement, une bataille juridique pour des queues de cerises
Quel est l’enjeu de ce débat juridique fort complexe ? Des queues de cerise…
Les AMAP n’ont pas de chiffre d’affaires. Elle ne servent pas d’intermédiaire au sens commercial du terme et n’encaissent aucune recette. Les flux financiers se font entre producteurs et adhérents. Pas de recettes, donc pas d’assiette à la TVA. Les cotisations versées par les consomm’acteurs pourraient à la rigueur être considérées par le fisc comme la rémunération d’un service mais cela se plaiderait. Et compte-tenu de la taille moyenne des AMAP (entre 50 et 150 adhérents), à 10-20 euros la cotisation, l’association resterait à l’intérieur des limites de la franchise en base et donc exonérée de facto de la TVA.
En matière d’Impôt sur les Sociétés, on se doute que l’assiette sera également très réduite, voire inexistante. Les quelques milliers d’euros de recettes procurés par les cotisations sont dans la pratique absorbés par les menus frais de fonctionnement de l’association et le résultat comptable servant d’assiette à l’IS sera dans la plupart des cas symbolique ou négatif. On rappelle par ailleurs que l’IFA (Imposition Forfaitaire Annuelle) n’existe plus et que les entités dont le chiffre d’affaires est inférieur à 84.000 euros sont dispensées du versement des acomptes d’IS.
Le seul souci est du côté de la CET (Contribution Economique Territoriale, l’ancienne Taxe Professionnelle) où il existe une cotisation minimum qui s’applique en l’absence de base d’imposition (ce qui sera le cas de la quasi totalité des AMAP). Cette contribution minimum peut représenter plusieurs centaines d’euros (variable selon les taux d’imposition votés dans les communes, départements et régions), une lourde charge pour une petite association qui n’a comme recettes -on le rappelle- que ses cotisations d’adhésion. Là (je ne vois) pas moyen d’échapper au couperet.
Petite remarque au passage : dans mon AMAP, les distributions se font dans les locaux du marché mis gracieusement à notre disposition par la commune. Dans ce cas d’espèce, il ne me paraît pas aberrant que profitant d’un service rendu par la collectivité locale, l’association la rémunère en s’acquittant de l’impôt territorial.
On l’aura compris ; ce n’est pas la fiscalisation des AMAP qui permettra de redresser nos finances publiques. Les agents des impôts qui sont de plus en plus soumis à des contraintes de productivité en matière de contrôle et de redressement y réfléchiront certainement à deux fois avant de s’attaquer à une proie aussi peu alléchante.
Une parade ultime, fonctionner en association de fait
Malgré tout, on peut considérer que cet assujettissement présente des inconvénients. La dépense représentée par la CET, l’obligation de tenir une comptabilité commerciale en bonne et due forme, la nécessité de déposer à échéances régulières des déclarations fiscales peuvent en rebuter certains. Par ailleurs, je connais bon nombre d’amapiens militants qui sont ulcérés à l’idée d’être assimilés (d’un point de vue fiscal) au supermarché du coin.
Il existe peut-être une parade (à creuser), consistant à ne pas déclarer l’association au moment de sa création. L’association de fait ne disposant pas de la personnalité morale, il devient beaucoup plus difficile de la transformer en contribuable. D’un strict point de vue juridique, l’absence de personnalité morale ne fait pas obstacle à l’assujettissement mais dans les faits, comment imposer une structure qui n’a pas d’existence officielle ?
Si l’on y réfléchit bien, une AMAP n’a que faire de la personnalité juridique des associations déclarées. Elle n’a pas besoin de posséder de patrimoine pour fonctionner, elle n’exerce pas d’action en justice et ne contracte pas avec les tiers. Si l’on réclame à l’entrée une cotisation, c’est plus par habitude que par nécessité : point n’est besoin de fonds pour organiser cette relation privilégiée entre des producteurs et des consommateurs. Rien n’empêcherait d’ailleurs une association non déclarée de réclamer à ses « adhérents » une contribution financière. Il faudra alors s’abstenir d’ouvrir un compte bancaire car le banquier -s’il accepte de fournir des instruments de paiement à une structure dénuée de personnalité juridique- imposera une responsabilité solidaire des fondateurs. Leurs noms risqueraient d’apparaître au fichier FICOBA (fichier des comptes bancaires accessible au fisc) et l’administration fiscale connaissant l’identité des dirigeants de fait pourrait dans le pire des cas les poursuivre en recouvrement des impôts.
Publié le : 1 octobre 2012
Desrives says
Bravo pour votre site définitivement excellentissime ! Cet article en particulier est éblouissant d’exactitude et d’érudition, c’est rarissime, et je sais reconnaître bien cela, ayant aussi un peu réfléchi à toutes ces choses. Une petite contribution : je suis assez bien d’accord avec la pertinence de la conclusion ! Mais je décèle une conséquence néfaste. Si l’absence de compte en banque propre n’est vraiment pas un obstacle important en effet, comment ASSURER une association de fait, c’est impossible je pense, encore plus que d’obtenir un compte en banque ! Je ne sais pas si beaucoup d’AMAP sont assurées en RC notamment, mais je suppose qu’il peut y avoir un accident un jour lors d’une distribution… Vous avez absolument raison de mettre en avant le problème de la CET, avec sa contribution minimale particulièrement pernicieuse selon moi – car une AMAP n’utilise pas nécessairement une salle publique en contrepartie… A Strasbourg son montant minimal atteint des sommets faramineux pour une microentreprise : 1900 € « à plein temps ». Ce sera d’ailleurs mortel pour beaucoup d’autoentrepreneurs après leurs 3 ans d’exonération si ce n’est pas forfaitisé d’ici là… Pour en revenir aux AMAP, je crois comprendre si je vous suis bien que le couperet CET ne tomberait QUE si l’assujetissement aux impôts ne pouvait pas être évité par les deux moyens de défense que vous suggérez.
Laurent Samuel says
Merci du compliment 😉
Oui la CET est liée à l’assujettissement IS/TVA
bourgeois antoine says
désolé mais je n’ai pas compris ce passage : » il faut distinguer entre les vraies AMAP et les fausses. Le fonctionnement des vraies AMAP consiste à pré-acheter à un producteur tout ou partie de sa récolte » !??
dans cette potique, que sont les « fausses AMAP » ?
merci
Laurent Samuel says
Celles qui ne pré-achètent pas