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L’économie du partage sera bottom-up ou ne sera pas

Quelques histoires à succès ont propulsé l’économie du partage sur le devant de la scène. En partageant nos biens, nos connaissances, nos ressources, nous accèderions à un nouvel âge d’or, une société plus fraternelle et plus équitable, une véritable alternative à la société de consommation qui est en train de sombrer dans le surendettement et la catastrophe écologique. Las, les puissances néfastes du vieux capitalisme ne veulent pas de cette nouvelle ère et s’emploient à détruire ou persécuter ses porte-flambeaux : le lobby hôtelier cible AirBn’B, les taxis s’acharnent contre Uber, etc…

Le profit comme finalité, le partage comme prétexte

En fait, les deux entreprises mentionnées ci-dessus n’ont pas grand-chose à voir avec l’économie du partage. Ce sont des entreprises classiques qui surfent sur la vague. Leur modèle économique est certes lié à l’internet mais ce sont simplement des prédateurs d’externalités et en rien des philanthropes. L’avènement du world wide web a permis l’émergence de ce nouveau modèle économique qui est bien illustré par la manière dont Google fonctionne.

Chaque seconde, des milliers de personnes se connectent pour faire des recherches sur le web à l’aide de Google. Le moteur de recherche propose une liste de sites et les gens cliquent sur celui qui leur paraît répondre le mieux à leurs attentes. En soi, ce clic ne vaut rien mais compilés, ces milliers de clics permettent de déterminer la pertinence de chaque site par rapport à une recherche donnée. Google enregistre donc une multitude d’externalités qu’il mouline à sa manière pour proposer son service de classement des sites web par degré de pertinence.

AirBn’B et Uber fonctionnent peu ou prou de la même manière. La chambre vide de votre appartement ou la place libre dans votre voiture ne valent pas grand-chose pour vous. Mais si vous pouvez les mettre en location sur une plateforme où se connectent chaque jour des milliers de personnes qui cherchent un logement temporaire ou un covoiturage, tout devient différent. La logique de ces entreprises est parfaitement capitaliste ; elle a été décrite sous le terme de walled gardens, ou jardins clos. Ces entreprises qui reposent sur l’internet créent des boutiques (les plateformes) dans lesquelles elles gardent leurs clients captifs, s’évertuant à empêcher toute transaction qui ne passerait pas par leur intermédiaire. Facebook est l’archétype de ces jardins clos. Prédation des externalités, jardins clos : on est loin du partage fraternel et désintéressé.

Un modèle top-down trop fragile

Je ne suis pas en train de dire que ces sociétés ne servent à rien. Au contraire, elles constituent ce qu’on appelle un tiers de confiance et sécurisent les transactions entre les particuliers, en créant entre des personnes qui ne se connaissent pas un environnement propice à la confiance, ce qui est essentiel. Je veux juste dire que ces sociétés ne contribueront pas à l’avènement de l’économie du partage parce qu’elles se heurtent frontalement aux monopoles en place.

A suivre les déboires judiciaires des sociétés AirBn’B et Uber, on se rend bien compte que la partie n’est pas gagnée. Il est évident qu’en venant bouleverser le modèle des industries en place dans des secteurs aussi fossilisés que le transport de personnes ou l’hébergement touristique, ces entreprises s’attirent les foudres des acteurs en place et aussi des pouvoirs publics. Face à ces collusions d’intérêts, elles sont isolées et fragiles. Il suffira de quelques procès, d’une réglementation un peu contraignante (comme celle que les villes américaines commencent à édicter pour cantonner le développement d’AirBn’B) pour les briser (ou les récupérer à l’instar de la SNCF qui s’intéresse de très près au covoiturage).

En adoptant une architecture centralisée et en conservant le vieux modèle « top-down », ces entreprises ne créent pas vraiment de rupture ; elles se contentent de venir concurrencer les acteurs historiques dans des métiers où le web permet d’innover. Il ne faut pas trop compter sur elles pour le « grand soir » du partage.

L’économie du partage est une révolution de la distribution, pas une innovation de produit

Tant que les systèmes de partage, d’échange et de mise en commun reposeront sur des architectures centralisées, ils resteront fragiles et seront des proies faciles pour les acteurs historiques, dont ils viennent contester le monopole. Si elle veut s’imposer, l’économie du partage doit reposer sur des relations de pair à pair, non intermédiées.

La vraie révolution de l’économie du partage n’est pas dans des innovations de produits (par exemple, une plateforme web qui met en relation offre et demande) mais dans le circuit de distribution. Le web permet cette relation de pair à pair, ouvrant la porte à une distribution horizontale ; en théorie, point n’est besoin d’intermédiaire et chacun dispose des moyens de distribuer par lui-même ce qu’il a à vendre ou échanger.

Regardez par exemple comment fonctionne Pumpipumpe, un système qui permet d’afficher sur sa boite aux lettres les objets usuels qu’on est prêt à partager avec ses voisins. On colle des petits stickers représentant les objets partagés ; les voisins en passant devant chez vous prennent connaissance de votre « offre » ; pas d’intermédiaire, pas de commission, une relation directe de pair à pair.

Dans le domaine du covoiturage, on pourrait par exemple imaginer que les trajets que je suis prêt à effectuer avec un passager soient publiés sur mon profil social, dans un format spécial, indexable par un moteur de recherche.

Organisé à l’horizontale, le système de partage est beaucoup moins fragile que dans sa version centralisée et verticale. Il est diffus et discret. Face aux acteurs historiques, il n’y a plus une seule tête de turc sur laquelle on peut s’acharner mais une multitude de « partageurs » qu’il est difficile (et très coûteux) d’identifier et de poursuivre individuellement.

Un tel système n’est pas totalement à l’abri. Une réglementation pourrait par exemple venir interdire le covoiturage rémunéré ou le rendre de facto illicite, en modifiant par exemple les conditions d’assurance des véhicules de particuliers. Mais le coût politique de ces règlementations liberticides est toujours élevé. Par ailleurs, leur mise en application se heurte vite à des difficultés matérielles et aux faibles moyens de contrôle des administrations.