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La tontine associative pour expérimenter un nouveau rapport à l’argent

Aujourd’hui, crise économique et financière oblige, l’argent est au cœur de tous les débats. Pas une journée ne passe sans que soit remis en cause le système traditionnel de la monnaie, des banques, des revenus et du crédit, pas une journée sans une nouvelle théorie, initiative ou proposition pour un autre système économique, qui permettrait de produire sans asservir, de satisfaire les besoins des hommes sans les aliéner.

Dans ce débat, les associations sont des acteurs incontournables, tant leur légitimité est forte.

Régies par leur but non lucratif, les oeuvres du XIXème siècle et les associations ont développé depuis 150 ans un savoir-faire irremplaçable pour exclure la logique du profit et faire fonctionner des modèles alternatif qui reposent sur l’altruisme et la solidarité.

Parmi les organismes régis par la loi de 1901, ce sont certainement les petites associations de proximité  qui ont expérimenté l’alternative la plus radicale : en reposant exclusivement sur le bénévolat, les petites associations de membres sont parvenues à supprimer toute contrainte financière. Elles produisent leur utilité collective en n’exigeant comme contrepartie financière que la symbolique cotisation annuelle.

Qu’est-ce que la tontine associative ?

Au sein de chaque petite association de proximité, dès qu’une dizaine de personnes au moins entretiennent un lien social régulier, on peut envisager d’implanter une tontine associative.

Il s’agit tout simplement d’épargner ensemble, en alimentant un pot commun de manière régulière. Oh rassurez-vous (investisseurs et banquiers), la tontine ne remplacera pas le contrat d’assurance-vie ou le PEA. Les sommes épargnées sont modestes. Chacun verse une ou quelques dizaines d’euro par mois. Mais si le groupe est un tant soit peu nombreux, la taille du pot commun grossira vite et à l’échelle du budget associatif, les sommes accumulées seront significatives.

Un association qui collecte l’épargne des ménages, est-ce bien légal et régulier ? Je réponds de manière nette et précise « Oui ». Le système est parfaitement légal, dès lors qu’il est logé dans l’association, que les épargnants sont des adhérents membres de l’association et qu’il n’y a pas d’enrichissement personnel.

Il existe un mécanisme juridique propre au droit associatif, c’est l’apport avec droit de reprise. Ce mécanisme permet de faire un apport financier à l’association et de le récupérer à l’issue d’une période donnée. Il repose sur un contrat d’apport conclu entre l’association et son adhérent.

Que faire de l’argent collecté ?

La communauté associative décide librement l’usage qui est fait des sommes réunies. Si tous les adhérents de l’association ne participent pas au système (ce qui est parfaitement possible), c’est la « communauté tontinière » qui administre son épargne. Puisqu’il s’agit d’un système d’épargne et que l’association s’est engagée à restituer les sommes, il faut employer les fonds de manière à pouvoir les récupérer.

La tontine associative débouche donc sur l’octroi de prêts ; elle fonctionne comme une banque, collectant de l’épargne pour la transformer en crédits.(Si vous voulez en savoir plus sur ce fonctionnement des banques, lisez sur le site de ce spécialiste de gestion patrimoniale un article très pédagogique sur la transformation de l’épargne en crédit).

A qui prêter cet argent ? Le but n’est pas de transformer la tontine en banque offrant des services de crédit au premier venu. Les prêts accordés doivent concerner les membres de l’association ou ses parties prenantes.

Un exemple permettra de mieux comprendre ce que j’entends par « prêt aux parties prenantes ».

Vous connaissez tous le système des AMAP qui organisent un circuit court entre producteurs et consommateurs. Récemment dans mon AMAP, notre volailler (enfin plutôt ses poules) a fait l’objet d’attaques particulièrement perfides de la part d’un troupeau de renards qui s’est livré à un carnage dans le poulailler. En urgence, il a fallu refaire toutes une série de clôture et compenser le manque à gagner causé par l’intrusion des prédateurs. Les membres de l’AMAP ont voulu se montrer solidaire de leur producteur, en lui octroyant une aide financière, chacun y est allé de sa poche avec une dizaine d’euros. La tontine aurait été parfaitement indiquée pour soutenir financièrement le producteur avec un petit crédit sans intérêt que l’on aurait pu accorder immédiatement, sans se livrer à une collecte qui a pris plusieurs semaines. Le raisonnement pourrait être transposé aux AMACCA, petites soeurs des AMAP dans le domaine culturel.

Autres bénéficiaires potentiels de la solidarité tontinière (et selon moi, les plus légitimes) : les membres eux-mêmes de l’association. Pour faire face aux imprévus de la vie quotidienne (travaux d’urgence sur un véhicule, remplacement d’une chaudière, prothèses dentaires mal remboursées), les banques vous vantent la facilité du crédit à la consommation. Sur les affiches dans le métro, tout cela paraît facile : la fille est jolie, le taux d’intérêt ridicule et les mensualités légères comme la plume. Dans la vraie vie, les choses sont différentes : de nombreux personnes sont exclues du système bancaire, certaines sont déjà empêtrées dans les affres du surendettement.Par ailleurs, les banques (et notamment celles spécialisées sur le crédit à la consommation) connaissent des difficultés et restreignent leur distribution de crédit ; il va donc être de plus en plus difficile d’emprunter.

De cette manière, la tontine permet d’installer dans l’association un système de micro-crédits (les prêts sont nécessairement de montant modeste et ne dépassent pas quelques milliers d’euros) au profit des adhérents de l’association. Il s’agit de solidarité puisque les crédits octroyés ne portent pas intérêt ; on rembourse juste le montant exact du capital emprunté, en faisant un versement mensuel régulier.

Une association peut-elle légalement octroyer des crédits ? Effectivement la question mérite d’être posée tant le monopole des banques fait l’objet de protections réglementaires dans notre pays. Nous avons conduit une étude juridique qui définit dans quelles conditions ces prêts sont légaux. Pour faire court, il suffit de réunir les conditions suivantes : le crédit ne doit pas être l’objet même de l’association et il doit être pratiqué de manière gracieuse, c’est-à-dire sans intérêts. Cela suffit (selon nous) pour échapper à l’interdiction de faire du crédit de manière habituelle et professionnelle.

Pourquoi la tontine associative contribue-t-elle à un rapport différent avec l’argent ?

En France, le quidam moyen gagne 1.580 euros par mois. C’est le prix de deux couronnes dentaires sur pivot, un peu moins que le prix d’une chaudière au gaz (sans l’installation), le coût minimal du garagiste pour ce maudit trottoir que vous n’aviez pas vu en reculant. Face à certaines dépenses imprévues, l’immense majorité d’entre nous doit piocher dans son épargne et à défaut, les seuls recours sont la solidarité familiale ou le bienveillant banquier.

En tant que membre d’une association pratiquant la tontine de solidarité, on s’ouvre une troisième voie. La communauté associative manifeste sa solidarité en aidant l’un des siens à franchir un moment difficile. Il ne s’agit pas de charité (la tontine prête, elle ne fait pas de dons) ; il s’agit de solidarité parfaitement désintéressée (le prêt ne porte pas intérêt).

Faire partie d’une association dont l’on sait que l’on peut compter sur elle en cas de besoin, c’est très différent de faire partie d’une association tout court. En cas d’urgence, ce besoin de financement crucial pour moi qui « suis dans la galère » est satisfait par la solidarité de mes pairs qui m’aident à franchir cette impasse financière. Il ne m’en coûte rien, hormis l’engagement à rendre ce que l’on m’a prêté. Voilà de quoi renforcer le lien avec mon association.

Epargner tous les mois une somme modique avec la certitude d’être remboursé, tout en sachant que notre argent est disponible pour aider les « copains de l’assoce » qui rencontrent un problème financier, c’est (je trouve) très satisfaisant. Certes, je renonce à des intérêts que ma banque m’aurait donnés. Enfin quand je vois ce que me rapporte les quelques centaines d’euros déposés sur mon livret, je réalise que je renonce à pas grand’chose. En revanche, la satisfaction d’être solidaire de ses pairs (et la sécurité psychologique que procure le droit de tirage sur la tontine) n’ont pour moi pas de prix.

L’argent prend ainsi du sens. Quand je l’emprunte, ce n’est pas une entreprise financière qui fait son business sur mon dos, c’est l’expression de la solidarité de mes proches. Quand je le prête, ce n’est pas dans l’intention d’en retirer un quelconque bénéfice (d’en avoir « toujours plus »), c’est l’expression de mon humanisme, un moyen facile de me relier à mes proches, sans me dépouiller et en leur rendant un fier service.

Vous êtes intéressé ? Alors aidez-moi à diffuser ce système !

Si vous êtes intéressé(e) par la tontine associative, que cette démarche rejoint vos valeurs ou celles de votre association, vous pouvez m’aider à faire passer le mot et à diffuser ce système.

J’ai mis en place un petite site internet qui présente la démarche Assolidaires.org. On peut s’inscrire à la lettre d’information pour se tenir au courant de l’évolution du projet (le formulaire est en bas du site).

Je cherche par ailleurs à recruter un stagiaire, étudiant de troisième cycle en droit bancaire ou financier (M2 « banque et finances »), qui m’aidera à finaliser la documentation contractuelle de la tontine. L’idée est de proposer aux associations un « kit » qui leur permettra facilement d’implanter une tontine solidaire. L’annonce du stage est ici.

Je cherche également des associations-pilotes qui seraient intéressées par tester le système ou des réseaux associatifs que la démarche intéresse pour diffuser auprès de leurs associations membres.