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Pourquoi je suis d’accord avec Pierre Bergé

J’avais dans mes brouillons depuis longtemps une ébauche d’article intitulée « Pourquoi je n’aime pas le Téléthon« , ébauche commencée mais jamais terminée, ce genre de billets demandant toujours un gros investissement-temps et ne rapportant au blog que des désabonnements.

Avant de commencer, je veux préciser que je ne connais pas particulièrement l’AFM et que je respecte a priori toutes les personnes qui s’impliquent dans cette structure et les actions qu’elle conduit auprès des malades ; mon but n’est pas de jeter la suspicion sur la nature de leurs motivations ou la qualité de leur engagement.

Mais l’affaire « Pierre Bergé » -puisque çà en est devenue une véritable- m’a encouragé à passer à l’acte et dire haut et fort

Tout ce que je n’aime pas dans le Téléthon

….le modèle de l’entreprise mécénale

En donnant ou s’engageant pour le Teléthon, les gens pensent aider des enfants malades. En fait, on pourrait voir les choses différemment : le Téléthon est une entreprise mécénale, c’est-à-dire une énorme machine à solliciter la générosité du public pour récolter des revenus. Bien-sur le Téléthon n’est pas le seul dans ce genre ; j’ai déjà décrit (décrié ici) le modèle économique de ces entreprises mécénales, consistant à dépenser d’énormes frais généraux pour « vendre » telle ou telle cause -en général, parfaitement honorable- au grand public, en jouant sur les bons sentiments.

Ce modèle présente à mes yeux plusieurs défauts majeurs. Si l’on considère que ces grandes entreprises mécénales sont pour l’essentiel alimentées par des dons largement défiscalisés (66% à la charge de l’Etat), cela en fait de gigantesques organismes para-publics au service d’un intérêt qui n’est pas toujours général.

Et même lorsque les causes sont indiscutables (hébergement et secours d’urgence, par exemple), la gouvernance strictement privée de ces organismes me pose problème. A la place de la technocratie administrative, nous avons dans ces grandes structures une oligarchie associative qui dispose à son gré de centaines de millions,  en rendant un minimum de comptes et sans faire l’objet d’une véritable régulation.

…la télévision

Je n’aime pas la télévision et je ne la regarde jamais, -d’ailleurs je n’en ai pas-, parce que comme mass media, elle travaille sur le plus petit dénominateur commun ; la télévision  ne donne à voir que ce qui est spectaculaire, au sens premier du terme.

Le choix de la télévision pour porter cet appel à la générosité des personnes n’est pas innocent ; en formulant son message avec des images d’enfants handicapés et de famille en détresse, les communicants du Téléthon cèdent au marketing le plus facile, celui de la pitié, des bons sentiments et de la larme à l’œil.

Je pense qu’il est bon (nécessaire et pédagogique) de donner à voir la maladie et le handicap à ceux qui ont la chance de ne pas les connaître (je le dis comme je le pense, étant moi-même parent d’un enfant malade et handicapé). Je pense également qu’on est en droit de solliciter la générosité des personnes pour aider une cause comme la recherche médicale ou l’aide aux malades.

Mais je trouve absolument obscène et et inacceptable d’associer les deux démarches dans un grand raout télévisuel, mis en scène et calculé, dont le succès sera mesuré à l’aune de l’audience et des millions accumulés, comme pour une entreprise du show-businness

…les gros chiffres

Tant d’argent me laisse songeur…

Les montants jetés à la figure du public sont eux-aussi obscènes. c’est l’ère de la démesure, « Qui veut gagner des millions ? », qui veut en donner, des millions ? C’est la dictature du quantitatif, ce moteur de l’économie capitaliste et libérale, où l’émotion et  la détresse face à la maladie sont jaugés en euros.

Au Téléthon, cette centaine de millions récoltés annuellement est dépensée en fonction des choix du Conseil d’administration de l’A.F.M et quelle que soit la compétence et le dévouement de ces personnes, c’est beaucoup d’argent qui se trouve dans quelques mains. Où sont les gardes-fous, quelle est la régulation ? Donner une telle force de frappe financière à une poignée de bénévoles me semble parfaitement aberrant. Et n’allez pas me dire que les projets de l’A.F.M. sont débattus et votés en assemblée générale ; plus personne n’est dupe de l’illusion démocratique qui règne dans ces grandes structures associatives.

Et comment croire qu’avec de tels montants, il n’y a pas des gaspillages ou des abus ?

La cause des malades et de leur famille est une cause noble et utile. Mais pourquoi les épileptiques ne bénéficient-ils pas des mêmes moyens financiers que les personnes atteintes de myopathie, et les insuffisants rénaux et les autistes, et les …

Où est la justice la-dedans ? Aucune justice,  juste un avantage concurrentiel au Téléthon, comme à une vulgaire multinationale, parce que l’A.F.M a su construire un discours marketing vendeur et s’associer avec un média grand public, bien content de disposer d’un reality-show gratuit et très performant pour faire larmoyer la ménagère.

…les manipulations génétiques

Le Téléthon finance la recherche, soit. Mais la recherche dans une direction exclusive, celle des thérapies génétiques. Tout cet argent est déversé dans ces laboratoires qui bricolent le gène humain. Personnellement je ne suis pas favorable au travail sur le gène, non par obscurantisme, mais parce que les manipulations génétiques ouvrent la voie à une conception de l’être humain qui n’est pas la mienne. Je ne pense pas que la personne humaine puisse être « chosifié » ; une telle conception heurte les principes moraux de notre civilisation et ouvre la porte à toutes les dérives, dont l’appropriation marchande du vivant et la négation des droits imprescriptibles des personnes.

Les choix scientifiques de l’A.F.M posent des problèmes éthiques et de cela, personne ne parle. Il faut sauver les enfants, un point c’est tout. Trop facile, beaucoup trop facile…