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Les 4 scénarios de la Fonda pour les associations à l’horizon 2020

La Fonda est un laboratoire d’idées créé en 1981. Son projet est d’analyser les mutations de notre société contemporaine, affectant et déterminant les initiatives citoyennes sous forme associative, mais aussi de proposer une meilleure prise en compte de cette plus-value sociale.

Elle lance ou participe aussi à des travaux de recherche dont la spécificité est d’être de nature partenariale qui lient les ressources de la recherche universitaire aux pratiques des acteurs associatifs. A ce titre, elle publie une étude prospective assez remarquable s’interrogeant sur l’évolution possible du monde associatif à l’horizon 2020, compte-tenu des grandes lignes de force qui sous-tendent l’organisation de la société française.

L’étude qui s’intitule « Faire Ensemble 2020« est à télécharger ici. Nous en reproduisons la synthèse (ce qui est exceptionnel sur ce site), tant celle-ci nous paraît éclairer de manière juste les défis qui se posent aux associations dans notre pays.

Comment les associations, percutées par toutes ces transformations et toujours au cœur de la vitalité démocratique de notre pays, vont-elles s’adapter mais également intervenir pour orienter le changement ? « Plus que d’adaptation, nous nous trouvons face à un devoir d’invention ». Tel est le sens de la démarche de la FONDA « Faire Ensemble 2020 », à laquelle elle tente d’apporter des éléments de réponse en construisant un lieu de débats, ouverts mais exigeants, respectueux de la diversité des expériences mais invitant à des actions construites ensemble.

Il nous a semblé important d’abord d’essayer de comprendre le monde en nous centrant sur ce qui est essentiel pour les associations, c’est-à-dire non seulement la continuité de leur projet et missions, mais aussi en revisitant cette grande idée de l’associationisme née au 19e siècle et qui avait pour objectif d’être au cœur de la transformation de la société… Notre conviction est que cette ambition reste d’actualité, on ne pourra transformer notre société en faisant face aux nombreux défis qui la traversent sans la société elle-même, c’est-à-dire sans la participation des individus et leur action collective, qui prend souvent la couleur de la vie associative. Les contributions présentées dans les deux derniers numéros de la « Tribune Fonda » ont été conçues dans cette orientation.

Elles ont aussi permis d’esquisser des évolutions qui, combinées entre elles, permettent intellectuellement d’imaginer des futurs possibles. Mais il ne faut pas se méprendre ; contrairement aux exercices de prospective du passé où, dans un monde relativement stable, on pouvait faire en fait de la prévision, ici il s’agit de mieux réduire les incertitudes, de prendre conscience des interdépendances, des marges de manœuvre, et des possibles alliances pour faire avancer ses idéaux. C’est l’objectif des scénarios ici présentés. Les avenirs qu’ils décrivent ne sont pas inéluctables, ce sont des possibles tant ils ne font que forcer le trait sur des tendances et des germes aujourd’hui observées.

Pour construire nos hypothèses, un repérage des tendances lourdes et émergentes a été organisé dans trois champs d’investigation : une enquête auprès des associations, le recueil de la parole de groupes de travail dans toute la France, et les analyses de divers experts.

Pour chaque tendance principale repérée dans les notes , on a retenu trois ou quatre hypothèses d’évolution et d’adaptations possibles des associations à ces évolutions. Combinées entre elles selon des logiques vraisemblables, ces hypothèses ont conduit à décrire des scénarios distincts mais vraisemblables pour soumettre les cheminements proposés à des débats réflexifs et créatifs.

En résumé, les principales tendances retenues sont les suivantes :
 Une marchandisation croissante.
 Des choix financiers pour les Pouvoirs publics lourds de conséquences et difficiles à faire admettre par les opinions publiques.
 Un désengagement public croissant.
 Un accroissement des inégalités économiques et sociales et une certaine polarisation territoriale.
 Des demandes nombreuses aux associations orientées vers une prise en compte singulière et individualisée des personnes.
 Des individus sans appartenance clairement établie, axés prinicpalement sur la réalisation de soi, face à la montée des incertitudes.
 Un bénévolat plus volatil.
 Une déstructuration du travail salarié et une professionnalisation du bénévolat.
 La recherche de nouvelles formes de gouvernance associative.
 Le développement de solidarités territoriales associatives.

Ayant mis à jour les attitudes face à l’avenir, les atouts et les faiblesses des associations (voir les résultats de l’enquête par questionnaire) ; ayant mis en évidence les sujets qui aujourd’hui préoccupent le plus les acteurs associatifs et leurs parties-prenantes (voir les résultats de la consultation des groupes locaux) ; les scénarios ici proposés n’ont d’autre vocation que de permettre à chacun de se positionner, de bâtir des stratégies pour peser « ensemble » sur les transformations que nous souhaitons : que pouvons nous faire ensemble pour contrer les tendances les plus néfastes ou au contraire pour promouvoir celles qui correspondent à nos valeurs ou à nos pratiques ? Tel est le sens de notre démarche : outiller les acteurs pour construire, ensemble de préférence, l’avenir que nous souhaitons pour les associations, et plus largement pour la société de demain.

Scénario 1 : La marchandisation étendue

Mots clefs : globalisation, Etat garant du marché, mise en concurrence, économie néolibérale, consumérisme, individualisme, zapping, société éclatée

Dans un cadre d’échanges désormais à forte dominante marchande, largement relayé par l’Union Européenne, se renforcent des inégalités de situation entre individus (liées à la naissance, aux accidents de la vie ou à des erreurs) pouvant compromettre sérieusement la satisfaction de leurs besoins.

La France est confrontée à des choix financiers lourds de conséquences, de la résorption de la dette aux choix énergétiques, en passant par l’assurance-maladie, la dépendance ou les retraites. Des conflits nombreux, multiformes et catégoriels, se développent et conduisent à des réponses dont la cohérence n’est ni évidente ni lisible. La classe politique continue à être fragilisée et profondément remise en cause.

Contraint, l’Etat choisit de se désengager de l’exercice de certaines de ses responsabilités alors que triomphe l’idée de politiques publiques actives plus individualisées et plus localisées parce que plus responsabilisantes. La meilleure perception des risques (ce qu’on appelle la levée du « voile d’ignorance » de John Rawls) et leur caractère plus hétérogène et diversifié conduisent à une demande individualisée de protection à laquelle un système mutualiste et solidaire répond plus difficilement. Le choix est fait d’avancer progressivement vers une protection sociale duale qui ne protège qu’a minima les plus fragiles, prenant la forme de prestations et services ciblés sous conditions de ressources et imposant toujours des contreparties.

Ce désengagement et la vision libérale globale des acteurs publics français et européens conduisent ces derniers à n’utiliser que les outils du marché – « benchmarking », appel d’offre et mise en concurrence – pour leur politique d’intervention en direction des associations. Ce qui pousse ces dernières vers des logiques de lutte et d’émiettement en opposition avec leurs valeurs traditionnelles. Le monde associatif est rattrapé par une logique économique exclusivement financière et comptable. Cela comporte de nombreux risques : des dérives éthiques, des comportements qui vont à l’encontre de la nature de leurs valeurs (le rendement est devenu la norme, la gratuité est invalidée). De plus, du fait de leur taille souvent réduite, les associations ne sont pas également armées pour répondre aux appels d’offres par manque d’expertise, ce qui accentue les fragmentations du monde associatif.

Le tissu associatif surtout gestionnaire se dégrade mécaniquement compte tenu de la croissance de la demande sociale, même à budgets maintenus. Les projets financés par les pouvoirs publics sont moins ceux issus de la réflexion des associations que ceux d’organisations technocratiques qui les considèrent comme de simples prestataires de service.

Des responsables associatifs anticipent et envisagent de passer le relais « tant qu’il est encore temps » à d’autres organisations qui pourraient être à statut coopératif. Cependant dans les associations gestionnaires qui persistent, ce qui apparaît dominant c’est la difficulté à recruter des bénévoles acceptant d’assumer des responsabilités politiques car peu enclins à s’engager dans des luttes commerciales afin d’assurer la survie de l’association ou de favoriser le développement ou la pérennité de ses emplois. Face à ces deux phénomènes, les dirigeants les plus impliqués promeuvent des structures associatives à directoire (salariés et bénévoles au parcours professionnel adapté) et conseil de surveillance (retraités et notables), permettant ainsi la professionnalisation de la gouvernance et, pour ceux qui le souhaitent, l’acquisition de compétences négociables sur un marché d’auto-entrepreneurs. Dans ces conditions, on assiste au déclin de l’engagement durable au profit de mouvements émotionnels éphémères. Dans la société éclatée qui s’accentue, le comportement dominant est celui que Michel Houellebecq illustre dans ses romans et qui signe l’avènement de l’individualisme moderne : narcissique, apathique, égoïste, indifférent, consumériste.

Ceci ne veut pas dire que de nouvelles associations n’apparaissent pas. La philanthropie notamment, celle des mécènes les plus riches ou celle des entreprises, est mobilisée. On assiste à un essor des associations organisant la consommation de sports-tourisme-loisirs aussi bien qu’au développement de l’aide des entreprises vers celles qui interviennent dans la lutte contre l’exclusion sur les territoires. Plus généralement, des comportements altruistes demeurent. Notre pays n’arrivant pas à éradiquer les poches de sous-emploi et de pauvreté, la vie associative sert de palliatif aux territoires en déclin (déserts ruraux et ghettos urbains). Des bénévoles continuent à investir pour faire avancer les causes ou les projets auxquels ils tiennent, notamment pour l’accompagnement des exclus ou l’intégration des jeunes proposés par les Pouvoirs publics. Mais les engagements durables sont le plus souvent faits sur des bases identitaires ou communautaires, permis par la segmentation de l’intérêt général, la famille ou le petit groupe d’appartenance de proximité sur lesquels on se replie facilement le favorisant.

Au final, face au désengagement de l’Etat et à la prégnance du marché, on assiste à un effacement progressif des regroupements associatifs. Ils perdent leurs soutiens financiers publics et les entreprises restent peu désireuses de soutenir des fédérations et associations de fédérations considérées comme inutiles, bureaucratiques et illégitimes. Les associations, en particulier gestionnaires, sont trop préoccupées par leur survie propre pour dégager temps et financements pour un travail commun dans la durée. Elles ont renoncé, de fait, à jouer un rôle politique. Cette dispersion des forces va totalement à l’encontre du souci de participer un tant soit peu au dialogue civil européen pour l’élaboration et la mise en œuvre d’actions, de décisions et de politiques communes, et pour contrer la doctrine néolibérale appliquée aux associations. Les collectifs éphémères regroupés autour de telle ou telle cause, jouent un rôle de contestation, de défense, de revendication mais le peu d’espace politique au niveau national les rend peu efficaces car peu entendues. Les collectivités locales qui, dans ce contexte sont conscientes de leurs responsabilités en termes de cohésion sociale, deviennent les interlocuteurs de premier plan. Les associations sont tentées alors de se regrouper au niveau régional, départemental et interrégional, privant en grande partie le niveau national de sa légitimité.

Dans ce scénario, les associations sont provoquées, bousculées. Beaucoup, établies depuis longtemps, n’ont pu s’adapter et disparaissent par manque de renouvellement de leurs bénévoles qui « fatiguent ». Cependant, apparaissent des comportements d’adaptation aux conditions du marché généralisé (surtout sur les terrains de la consommation des biens et des activités sportives et culturelles) tandis que de nouvelles associations apparaissent sous le mode défensif identitaire ou à partir de mobilisations contestataires. Ce scénario renvoie au type de responsables associatifs qui, devant la force du marché et le peu de réaction des associations, se sentent dépassés et deviennent résignés.

Scénario 2 : l’Etat se défausse

Mots clefs : décentralisation, transfert vers la société civile des services publics, instrumentalisation, lien social local, mutualisation des moyens

Vis-à-vis de choix financiers lourds de conséquences et difficiles à faire admettre par la population, priorité est donnée à la réduction des dettes publiques sans profonde réforme fiscale et socio-fiscale. Le processus de décentralisation est accéléré car les collectivités locales sont considérées comme plus aptes à répondre à une demande sociale plus diversifiée. Mais on les somme d’être plus productives en ne compensant pas intégralement le coût des transferts de compétences et en limitant par des normes strictes leur autonomie. Ceci conduit inévitablement à une externalisation des services publics vers les associations, moins budgétivores.

L’État moderne devient ainsi plus manager, prescripteur de normes, certains diront stratège et modeste, ce qui explique l’ampleur des missions de service public confiées aux associations : accompagnement pour le retour à l’emploi ; développement de la prise en charge de la dépendance à domicile ; recentrage de l’hôpital sur ses missions essentielles et développement de l’hospitalisation à domicile… Toutefois, ceci conduit à une polarisation territoriale sur les grandes métropoles avec effets de diffusion au sein de grandes régions. En l’absence de mesures de correction volontaristes de grandes inégalités territoriales apparaissent donc.

Devant le maintien du recours à l’appel d’offres comme outil de financement tant de la part de l’Etat que des collectivités territoriales, les associations se font de plus en plus concurrence entre elles, renforcée par les règles européennes, ce qui est un frein à l’innovation sociétale (les besoins ne sont plus identifiés par la base, mais définis par les bailleurs de fonds). Elles réagissent cependant. On assiste à leur regroupement. Les DLA (dispostifs locaux d’accompagnement), ingénierie administrative permettant d’optimiser les ressources associatives d’un territoire, deviennent le bras armé de la puissance publique, encourageant les mutualisations et l’apparition de fonctions R et D (recherche et développement) territoriales. Les associations profitent également des statuts nouveaux tels que le service civique, les emplois d’intérêt général, les aides au volontariat. Les responsables des associations ont pris finalement conscience de l’évolution de la situation et, souvent stimulés par leurs cadres salariés, ont engagé les mutations nécessaires. Un mouvement de concentration très fort a lieu. Là où subsistent plusieurs associations, restées bien ancrées dans leurs bassins de vie, elles n’ont pu y parvenir qu’en mutualisant un certain nombre de fonctions.

Cette orientation vers la « Big society » de David Cameron, qu’on a importée en France sous le terme savant de « société auto-organisée de proximité », signe le recul de l’Etat providence en passant par une étape intermédiaire d’accentuation de la décentralisation, marquant surtout le transfert de missions collectives vers la société civile (associations, communautés, familles et individus). Les fonctionnaires, nationaux comme territoriaux, décimés, font revivre, grâce au bénévolat, leur idéal de service public. Ils sont au cœur de la restructuration des réseaux associatifs. Domine alors un modèle d’associations de service : la carte d’adhérent est devenue en fait une carte de fidélité.

Le financement des associations se diversifie. Les partenariats avec les fondations d’entreprise sont de plus en plus fréquents et permettent des expérimentations et des innovations sociales. Finalement, les associations qui subsistent, ressemblent davantage aux entreprises et certaines d’entre elles sont tentées de s’inspirer de la logique des entrepreneurs sociaux pour manifester plus clairement leur engagement économique au service de valeurs.

A côté de ces associations au caractère économique affirmé, existent de nombreuses associations de plus petite taille qui rassemblent des bénévoles qui évitent d’avoir à gérer des activités économiques et qui s’engagent essentiellement sur les terrains de la veille, de l’alerte, de la défense de causes ou d’intérêts collectifs. Le mouvement associatif, dont l’unité a toujours été difficile, est désormais davantage clivé entre associations gestionnaires et associations d’expression.

Dans ce contexte, les associations gestionnaires, incités par les Pouvoirs publics, parviennent dans un grand nombre de situations à s’adapter et à poursuivre leurs activités économiques en maintenant correctement leurs équilibres financiers. Elles se regroupent aux niveaux régional, départemental et interrégional, car à la recherche de centres de ressources de proximité, privant en grande partie le niveau national de sa légitimité. Cependant on assiste à l’essoufflement des personnes et des collectifs associatifs à cause de tâches administratives trop lourdes à assumer. Les capacités à l’action collective étant variables selon les territoires, l’espace social se fragmente et la cohésion sociale s’effrite. Face à un vieillissement inégal et à une attractivité économique contrastée, l’hétérogénéité spatiale conduit à des formes d’ostracisme à l’égard de certaines personnes ou de certains groupes. Une réappropriation des politiques locales par les acteurs est faite, ici ou là, lorsque la structuration collective des associations au plan local est performante. Mais leur insertion nationale et la cohésion de l’ensemble du territoire sont difficiles à atteindre.

Ce développement d’une vie associative consumériste ravive le clivage idéologique entre les associations divisées sur cette question et ranime le vieux débat sur la subsidiarité : quel est le meilleur niveau de prise en charge des problèmes soulevés, l’Etat ou les collectivités locales ou encore celui d’autres acteurs ? Le mouvement associatif organisé, préoccupé par ses responsabilités d’employeur, devient une sorte de syndicat de défense des intérêts du secteur. Ses rapports avec L’Etat et les collectivités territoriales constituent son horizon indépassable ce qui ne peut entraîner l’adhésion des associations qui se situent hors d’une perspective gestionnaire. La capacité d’innovation ne peut se développer que dans les marges, en dehors de la sphère des services. Les regroupements sont ici difficiles, sauf au niveau local pour les gestionnaires, mais sans moyens et éphémères, ils pèsent très peu dans le débat public général. A ce jour, et comparé au « dialogue social », le concept de dialogue civil est encore à divers égards un peu flou ; certains considèrent ce dialogue au niveau de l’Europe comme « balbutiant » et relevant encore du faux semblant. Les organisations françaises, désorganisées, pèsent peu dans le débat européen comme l’Etat français, coincé qu’il est sur les questions d’Etat Providence entre l’Europe et le pouvoir accru des régions.

Les associations sont instrumentalisées, enrôlées, parce qu’elles assurent dorénavant des missions de service public déléguées. Mais elles ont su se réformer, devenir performantes, garantir l’emploi de leurs salariés voire le développer. Le divorce est consommé avec les associations de contestation ou associations militantes. Ce modèle de conformisme adaptatif des associations est porté par les inquiets.

Scénario 3 : A l’ère du développement pluriel

Mots clefs : économie plurielle, synergies entre parties-prenantes, entrepreneuriat social, autonomisation des associations, entreprise associative, capital social, vitalité associative, féminisation

Les entreprises reconnaissent l’intérêt du tissu associatif et s’impliquent davantage dans le soutien aux associations, l’économie sociale et solidaire devient une force économique et politique dans le paysage ambiant, le nombre d’entrepreneurs sociaux a fortement augmenté. Les modèles coexistent, se font éventuellement concurrence, les frontières sont poreuses, les repères font défaut mais les associations sont plus performantes tout en respectant leur projet.

Face à la réduction des ressources publiques qui sont mises à leur disposition, les associations réagissent. D’abord individuellement : elles sont amenées à veiller à la clarification de leur positionnement et à adopter des modes de gestion innovants qui combinent la rigueur matérielle, la transparence comptable, l’implication des parties prenantes et la priorité absolue des finalités sur les moyens. Puis collectivement : les grands mouvements associatifs viennent à penser qu’ils ont plus à gagner à un front commun et à des solutions collectives qu’à y perdre, y compris pour leur propre mouvement. Ils assument alors la responsabilité politique qui pèse sur eux et jouent un tout autre rôle dans une société en mal de repères, non seulement en « disant » la société mais également en intervenant dans les choix de société difficiles à faire, leur calendrier comme leurs contenus, les réformes socio-fiscales en particulier. La recherche de l’autonomisation des associations est le mot d’ordre. Elles affirment leurs valeurs, elles trouvent des partenaires, des alliés.

L’attention portée au projet de chaque association est ravivée. Les regroupements d’associations sont l’occasion d’une véritable réflexion collective sur le sens de l’action et sur les pratiques d’évaluation qui permettent de rendre des comptes à l’ensemble des parties prenantes. La France a rattrapé progressivement le demi-siècle de retard en matière d’évaluation qu’elle avait accumulé par rapport à certains pays comme le Canada. Plus personne ne se moquera de la productivité associative. Les modes de gestion ont évolué et étonnent les experts car sont mobilisés les ressorts de la coopération entre bénévoles et salariés sur un mode plus égalitaire. Des ruptures, sources d’innovation sociétale – les nouvelles formes d’engagements (collectifs informels, réseaux sociaux,) poussent à inventer de nouvelles formes de gouvernance, qui permettent d’inclure les nouveaux bénévoles.

Parmi les atouts mobilisés, il y a le capital social que les associations avaient accumulé. Grâce à une solidarité renforcée, leur fonctionnement en réseaux (même fédératifs), leur habitude très ancienne dans la production et la diffusion de biens libres, et, plus traditionnellement, leur connaissance fine des populations et de leurs besoins ou aspirations, elles ont un avantage comparatif décisif dans la nouvelle économie de la connaissance. D’un autre côté, le modèle de l’entrepreneur social et le financement par la « venture philanthropy » deviennent des références, facilitées par la création d’écoles d’entrepreneurs sociaux et de GRH (gestion des ressources humaines) associatives qui se mettent en place. Le partenariat avec les entreprises lucratives se développe. Ces dernières accroissent leur politique de RSE (responsabilité sociale des entreprises) et favorisent le bénévolat de leurs salariés (surtout en fin de carrière), ce qui permet de venir au secours d’associations fragilisées : elles solvabilisent donc des marchés pauvres et assurent l’emploi de personnes non compétitives.

Enfin, de plus en plus d’associations ont élaboré des réponses avec le reste de l’ESS (économie sociale et solidaire) sur la base de diagnostics locaux. En effet, les engagements territoriaux sont facilités par l’acte trois de la décentralisation (régionalisation accentuée avec péréquation plus forte de ressources nationales affectées). Apparaissent des fondations territoriales (communities foundations), groupements de donateurs qui financent et orientent la stratégie des associations d’un territoire au service de la réponse à des besoins diversifiés que l’Etat-Providence classique ne peut assurer. On voit même l’organisation d’un quasi marché de dirigeants associatifs (recrutement par exemple des dirigeants sur profil) grâce aux réseaux sociaux. L’intégration des NTIC (nouvelles technologies de l’information) se développe au plus profond du tissu associatif conduisant à un gouvernement plus démocratique et vraiment participatif.

En outre, des initiatives associatives indépendantes, analogues à celle du Comité de la charte par rapport aux donateurs et au public, se développent sur une base volontaire et de manière indépendante, transversale et en dehors de toute préoccupation de représentativité. Elles prennent leur place dans le paysage sociopolitique et acquièrent une légitimité désormais reconnue aussi bien du public et des associations que des entreprises et pouvoirs publics.

Ce processus d’adaptation renforce l’action menée pour que soit enfin reconnue la pluralité de l’économie. Le paysage associatif reste cependant très hétérogène et son unité est problématique. Sa capacité à exister de manière plurielle et accueillir tous les types de populations est donc une variable critique. Mais les grandes associations ont pourtant réussi à trouver un relatif consensus sur un agenda « politique » à gérer de concert. Il s’agit de la question de la régulation institutionnelle d’ensemble du monde associatif, de la mobilisation et de la professionnalisation dans les associations, et des modes de financement.

Dans ce scénario, les associations sont impliqués, performantes, motrices de leur propre développement. Les territoires sont les lieux principaux de cette rénovation car la réponse aux besoins sociaux diversifiés est permise par le maillage des institutions qui y sont présentes, par la vitalité des réseaux ainsi que par le drainage de fonds qui permettent une certaine planification du développement associatif. C’est le scénario des confiants.

Scénario 4 : La société inventive

Mots Clefs : individu créatif, individu-donateur actif, « l’économie créative », c’est la demande qui structure l’offre, rénovation du dialogue civil et social, économie sociale « sans rivage », intelligence collective, réseaux horizontaux

La puissance que représente l’économie de la connaissance, de l’intelligence, se traduit dans l’apparition d’un individu plus autonome, plus responsable, relationnel. Elle est le résultat d’un puissant effort d’éducation sous toutes ses formes, où s’inscrit un véritable renouveau de l’éducation populaire. Mais surtout elle restaure la confiance en la possibilité d’une perspective positive de développement intégrant les défis écologiques, permet l’acceptation d’une plus grande redistribution qui ne se contente pas des critères habituels puisque la force de la société de la connaissance, c’est la « pollinisation », c’est-à-dire l’innovation, la création, le talent, le savoir implicite, démultipliant les possibilités d’émancipation des individus. Ce qui ne sera possible qu’en permettant à la société de participer elle-même aux délibérations qui la concernent. L’ultime facteur d’équilibrage de la croissance sera ainsi la rénovation du dialogue social, qui permettra de rétablir les relations de confiance entre les différents acteurs du marché du travail, en s’accordant sur un droit social plus en phase avec l’activité économique (flexicurité ou sécurisation des parcours professionnels par exemple intégrée dans le cadre d’accords régionaux). L’individu exige de participer et de construire un rapport contractuel authentique.

Les associations construisent une légitimité propre fondée sur le besoin d’organisation de la société civile hors des institutions tutélaires et indépendamment des contraintes de la société marchande. Cette légitimité repose sur leur capacité à offrir aux individus de la post ou de l’hyper-modernité les moyens de leur émancipation, de leur autonomie et de leur reconnaissance comme acteurs et décideurs de la communauté des citoyens (par exemple, le tissu associatif traditionnel participe aux débats de la toile, du Web…notamment en privilégiant les outils de modération des échanges de savoirs).

Les associations, en partenariat avec les acteurs de l’économie sociale et solidaire dont elles se sentent proches, ont su, avec succès, défendre ensemble à la fois l’idée d’un encastrement nécessaire du marché dans des règles décidées de manière démocratique, et l’idée d’une économie plurielle où la liberté d’entreprendre peut se conjuguer sous des formes multiples. Le rapport Stiglitz a justement remis à leur place des conceptions idéologiques qui ne voyaient dans les entreprises associatives qu’une économie assistée, improductive, vivant aux crochets de la « vraie » économie. Les associations, par les ramifications qu’elles ont dans la société et par leur présence sur les chantiers décisifs pour l’avenir, disposent de canaux de communication et de relais d’opinion qui sont susceptibles de faire évoluer les représentations toutes faites et de combattre les idées fausses. Encore faut-il bien sûr qu’elles s’y impliquent collectivement et qu’elles mettent en œuvre effectivement des modes de fonctionnement cohérents avec les valeurs défendues.

En toute hypothèse, la recherche de la bonne taille (pas forcément la plus grande), la mutualisation respectueuse de la liberté d’associés collectifs responsables, la division du travail pensée entre associations sont à l’ordre du jour. Une plus grande fluidité entre les formes d’entreprises se référant à l’économie sociale et solidaire est de mise. Le statut associatif n’est pas toujours le plus adapté au développement du projet initial. Les statuts coopératifs, mutualistes, associatifs, constituent des repères souvent utiles comme l’histoire l’a montré mais l’expérience de l’économie sociale a toujours reposé sur le pragmatisme et sur l’adhésion volontaire. Tel est bien l’esprit d’une économie sociale « sans rivages » rêvée par Jacques Moreau. Revisiter certains de ces statuts, mettre à l’ordre du jour la créativité statutaire, permettent ainsi de diversifier les modèles de gouvernance tout en gardant toujours en perspective les gains de productivité que peut permettre la mutualisation par exemple des fonctions juridiques, comptables et financières.

La création de « clusters associatifs locaux », c’est-à-dire de plates-formes de compétences et d’accueil d’associations aux projets diversifiés, ont permis la mobilisation sur quelques enjeux clés du territoire aidés en cela par les centres de ressources des réseaux nationaux. Les syndicats créent des coopératives de compétences qui gèrent les parcours professionnels de leurs membres alternant missions lucratives et missions bénévoles. Le parcours associatif devient un élément clé de la reconnaissance sociale.

L’affirmation de l’autonomie et de la créativité des acteurs met à mal les regroupements pyramidaux qui sont de plus en plus inadaptés. La circulation des idées, des projets, est horizontale. L’innovation est à la base de regroupements divers qui se croisent et s’unissent selon les sujets et les moments et à divers niveaux, départementaux, régionaux, nationaux, internationaux. Les projets, les acteurs ont essentiellement des logiques transversales qui minorent beaucoup l’importance des regroupements sectorisés. La société civile s’organise logiquement hors des tutelles traditionnelles ce qui exige une réaction du mouvement associatif. Les liens opérationnels et politiques entre ces multiples groupements opérationnels et politiques et une représentation organisée et reconnue officiellement au niveau national voire européen sont encore difficiles à concevoir.

Le modèle de l’organisation générale du mouvement associatif qui fait consensus est celui de la Charity Commission britannique regroupant au-delà de personnes qualifiées, des représentants de l’Etat, de différentes Commissions et Collectivités, et des magistrats. Par ailleurs, dans le cadre du dialogue civil, l’Union européenne devient un étage d’élaboration et d’invention en matière sociale par la voie de l’innovation expérimentale. Il y a là un champ ouvert à l’imagination et à l’action associative, à la coopération transfrontalière, avec le soutien logistique et méthodologique de l’Union, dans laquelle le mouvement associatif s’investit. Mais la prédominance des logiques transversales risque de restreindre la force des regroupements sectoriels.

Les associations sont désormais émancipées et leviers de l’émancipation individuelle et collective. Elles prennent l’initiative aidées en cela par des formes de fertilisation locales qui permettent créativité et productivité, fondées sur la mutualisation de fonctions support et de compétences autour de projets communs. C’est le scénario des optimistes et résolus.

En guise de conclusion

Les quatre scénarios – qui encore faut-il le préciser ne sont que des simulations et non des prévisions – peuvent apparaître comme faisant la part belle à une hypothèse dominante de « prise de pouvoir » d’un acteur ou d’une logique :
 le premier où ce sont les rapports économiques marchands, entraînant une société de marché,
 le second où ce sont les appareils d’Etat nationaux et locaux, conduisant à des associations instrumentalisées,
 le troisième où ce sont les associations (et la société civile organisée) qui se constituent comme une ressource incontournable pour l’économie et pour les appareils d’Etat,
 le quatrième où ce sont l’autonomie et la créativité des acteurs (les individus) qui, en retissant quotidiennement le lien social, fournissent la matière dont se nourrissent tant l’économie que l’Etat et la société civile organisée.

Dans la rédaction qui en a été proposée, on a mis l’accent sur une combinaison de comportements d’acteurs qui rend dominante l’hypothèse qui marque le « scénario », mais en laissant ouvertes des possibilités d’actions de transformation :

 La « Marchandisation », avec l’ouverture au monde de la concurrence ;

 « Entre un Etat normatif et les Collectivités locales », avec cependant une accentuation de la décentralisation confiant aux collectivités locales certaines des prérogatives socio-économiques de l’Etat central ;

 La reconnaissance d’une économie « Plurielle », avec des associations performantes qui agissent de manière autonome en liaison avec l’Economie sociale et solidaire ou les entreprises capitalistes ;

 Une « Société inventive » reposant sur des individus entreprenants et solidaires, étayée sur le développement d’une « Société de la connaissance ».

Dès lors si chaque acteur, dans les scénarios, modifiait sa posture et sa pratique sociale, il pourrait tenir compte de cette nécessaire complémentarité entre les quatre hypothèses, afin d’articuler les forces de ces quatre types de scénario pour qu’elles convergent avec le maximum d’efficacité dans une démocratie confortée par plus de liberté, d’égalité et de fraternité. Ce qui suppose qu’on réfléchisse activement aux conditions juridiques et sociales à remplir, aux débats à mener, pour qu’une telle convergence puisse se réaliser, notamment aux transformations des statuts et des pratiques respectives de ces quatre types d’acteurs dominants dans chacun des quatre scénarios, nécessaires pour que chacun participe à la construction du bien commun au mieux de ses propres capacités.

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