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Faut-il envoyer votre association faire la manche sur le web ?

Ce billet dont le titre est une provocation est plutôt destiné à ouvrir un débat qu’à indiquer aux dirigeants bénévoles des directions d’action. J’avoue ne pas détenir de vérité bien établie à propos de ces plateformes de collecte de dons qui se multiplient sur internet et d’une manière générale, l’intérêt (et le rendement réel) des démarches visant à collecter des dons en ligne.

L’état des lieux

Le concept clé est celui du crowdfunding, le financement par la foule, qui présuppose que pour obtenir une certaine somme d’argent, l’association aura plus de facilité à convaincre un grand nombre de personnes de donner une somme modeste que quelques mécènes pour des montants plus significatifs (ce présupposé déjà me pose question et il en sera à nouveau question plus loin).

Le web fournit donc un terrain de chasse (quasi) illimité pour aller collecter ces dons modestes, puisqu’il affranchit l’association de la contrainte matérielle et géographique. Cela fait effectivement rêver…

D’un point de vue technique, les choses peuvent emprunter deux voies : la mise à disposition des membres de l’association d’outils de collecte en ligne (P2P fundraising) ou la présence de l’association sur une plateforme de dons en ligne.

La première technique qui permet de transformer chaque membre de l’association en collecteur de dons auprès de sa propre communauté suppose pour être efficace une présence active des membres de l’association sur les réseaux sociaux et de leur part une certaine capacité à mettre en scène la collecte, à l’animer. Le simple fait de disposer sur son profil d’un bouton à cliquer n’est pas d’une grande utilité si la personne n’est pas capable de « vendre » à ses proches le projet ou la cause de l’association.

Ce genre de solutions est proposé par exemple par une entreprise comme Izi-collecte qui met à disposition un bouquet d’outils web pour organiser des collectes en ligne et communiquer avec les donateurs.

La seconde voie consiste à rejoindre une plateforme de dons en ligne, comme il en existe actuellement un certain nombre sur le web. Les plus connues sont certainement Ulule et KissKissBankBank (qui ne sont pas spécifiques aux associations mais financent tous types de projets) ; il faut également signaler Alvarum et le petit dernier Hello Asso.

Sur Ulule et KissKissBankBank, les organismes collecteurs de dons offrent aux donateurs une contrepartie à leur dons, sous forme d’un cadeau, d’un bien matériel en relation avec le projet financé. Sur les autres plateforme, il s’agit d’un appel pur et simple à la générosité, sans contrepartie de la part de l’organisme bénéficiaire. Par ailleurs, certaines plateformes fonctionnent de manière fermée -la collecte se fait uniquement sur la page de la plateforme dédiée à l’association- ; d’autres, comme HelloAsso, combinent la présence sur la plateforme avec des outils web permettant de décentraliser la collecte sur le site web de l’association ou les profils de ses membres sur les réseaux sociaux.

Le modèle économique de ces plateformes varie selon les cas. Sur Ulule et KissKissBankBank, l’inscription est gratuite et la plateforme prélève un pourcentage (8%) sur la collecte. Sur Alvarum, le pourcentage est moindre (1.9%) mais il faut compter des frais d’inscription de 290 €. HelloAsso est gratuit et sollicite seulement un don de la part des utilisateurs. Dans ce dernier cas, il faut noter toutefois que la mise en ligne de la plateforme s’est faite à l’initiative de deux acteurs français du crowndfunding associatif, Izicollecte et Mailforgood, dont les services sont par ailleurs payants.

Sur l’efficacité de ces plateformes, on ne dispose bien évidemment que des statistiques que les opérateurs veulent bien afficher. Ulule revendique plus de 10 millions d’euros collectés au profit de 5600 projets, ce qui donne une collecte moyenne de l’ordre de 1.900 euros. HelloAsso revendique 4,6 millions d’euros de collecte au profit de  2200 associations (collecte moyenne : 2.090 euros), mais ces chiffres posent question, compte tenu du lancement très récent de la plateforme (novembre 2013). On peut supposer qu’il s’agit plutôt de la collecte réalisée par les deux opérateurs de la plateforme sur leur offre de services historique (voir plus haut).

Selon une étude réalisée par J.Y. Bodin en 2011 («Réseaux sociaux et e-collecte : quelle stratégie web pour les organisations caritatives ?»), le don moyen est de 32 € pour Ulule et 55 € pour KissKissBankBank.

Que faut-il en penser ?

Mon idée générale est que les miracles n’existent pas et que pour attirer les dons à un niveau autre que symbolique, il faut que votre cause soit absolument universelle ou bien que vous vous adressiez à des gens qui ont une réelle proximité avec la cause ou le projet de votre association. Personnellement je ne me promène pas sur le web avec ma carte bleue à côté de la souris, en me demandant qui je vais bien pouvoir soutenir aujourd’hui ; je pense que très peu de personnes ont ce comportement.

[quote]Si le web multiplie bien à l’infini les possibilités de contact avec des donateurs potentiels, il n’en créé pas pour autant la proximité et l’empathie nécessaires au passage à l’acte généreux.[/quote]

Je suis persuadé que l’essentiel de ces collectes affichées sur les plateformes est réalisé auprès de donateurs qui connaissent déjà par ailleurs l’association et qui s’en sentent proches. Ces personnes auraient donné de toutes manières ; il aurait suffi de les réunir dans une salle, de leur envoyer un petit courriel ou de leur présenter un bouton paypal sur le site de l’association.

La capacité de ces plateforme à drainer un trafic autonome, potentiellement source de donateurs qui ne connaissent pas l’association et ne l’aurait pas rencontrée autrement, n’est pas démontrée ; elle me paraît faible notamment compte-tenu de l’architecture fermée adoptée par ces plateformes.

Dans ce sens, le fait que la plateforme prélève une commission sur des dons qui auraient pu être collectés directement relève quand même un peu de l’arnaque. L’argument avancé par les opérateurs selon lequel la présence de l’association sur la plateforme lui donne une visibilité sur le web me paraît faible, car ces plateformes constituent toujours des architectures fermées, bien moins efficace en terme de référencement qu’un site web correctement géré. Par ailleurs, cette architecture fermée est à l’opposé de l’objectif du crowdfunding qui est justement de profiter du caractère ouvert du web pour multiplier les entrées en relation.

Obtenir de la visibilité sur le web, faire le buzz, convaincre en ligne : tout cela est un vrai métier, qui demande du temps et des connaissances techniques, un métier d’ailleurs difficile à l’heure où le web compte des centaines (des milliers ?) de milliards de pages. La mode des plateformes de dons en ligne correspond à cette dérive de l’internet où des opérateurs se créent des walled gardens (jardins enclos), des petites allées de supermarché bien rangées, soigneusement cloisonnées où ils tiennent les utilisateurs captifs, alors qu’initialement internet est un réseau ouvert, où presque chacun peut y faire ce qu’il veut, au moyen d’outils simples comme le code html.

Si vous avez la chance d’avoir dans votre équipe des stars des réseaux sociaux, de ces personnes qui sont capables de constituer autour d’elle une véritable communauté numérique, alors il vaut mieux privilégier le P2P fundraising en mettant à disposition de vos membres des outils adaptés qu’ils peuvent facilement s’approprier pour faire rayonner en ligne la cause de votre association.

Dans ce sens, la démarche des opérateurs d’HelloAsso me paraît à la fois plus honnête et efficace, mais aussi plus viable. la plateforme de dons en ligne est gratuite et les opérateurs diffusent des outils de P2P funding de qualité qui leur permettent de fonder un véritable modèle économique. Et oui, le dernier point concernant ces plateformes (qui intéresse moins l’utilisateur, mais quand même…) est leur fragilité et leur durée de vie souvent limitée (les plateformes Charitic et I-doo ont fermé boutique). Quand on voit les comptes de KissKissBankBank, pourtant l’un des leaders du marché, on a un peu peur ; le point mort semble encore très loin.

Et vous, quelles sont vos expériences de collectes sur le web ? la participation à l’une de ces plateformes e-t-elle été profitable pour votre association ?

Edit : On annonce que Facebook permettrait désormais la collecte de dons directement sur le profil/page des ONG avec le lancement d’un bouton « Donate now ». En voir plus ici sur Presse-Citron

Publié le : 13 décembre 2013