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S’alimenter autrement pour #changer-le-monde

Anne-Sophie Novel a publié un très joli billet intitulé « Pourquoi manger local ? » où elle reprend les différents arguments mis en avant par les locavores. Une bonne aubaine car j’ai moi-même en brouillon depuis quelques jours un article consacré à la contribution de certaines associations 1901 -les AMAP et les Monnaies locales– à une indispensable démarche de re-localisation de nos achats alimentaires.

Parmi les arguments auxquels je suis naturellement le plus sensible, il y a le fait que nos choix en matière d’alimentation sont en relation avec les aspects les plus profonds de notre personnalité individuelle et collective et que les décisions économiques des individus ne sont pas neutres sur la société qui se construit et les relations sociales que les personnes y entretiennent.

J’ai déjà écrit à quel point il me semblait essentiel et urgent, dans le sillage de Pierre Rabhi, de reprendre le contrôle de notre alimentation. Qu’il me soit permis de contribuer encore une fois au débat d’idées, sous couvert d’une lecture anthropologique et économique de la question alimentaire.

Dans un prochain billet, nous envisagerons comment la structure de la loi de 1901 permet d’agir ici et maintenant pour reconquérir une certaine autonomie alimentaire.

La sécurité alimentaire, un rêve vieux de 3 millions d’années

Tout être vivant doit s’alimenter pour survivre ; il s’agit d’une exigence ontologique et tous les efforts du vivant sont tournés en permanence vers cet objectif vital consistant à se procurer les indispensables aliments.

Les choses étant bien faites par la Nature, celle-ci procure généreusement à tout un chacun ce dont il a besoin pour s’alimenter, dans une chaine alimentaire simple et (en principe) immuable : le règne végétal synthétise l’eau et la lumière (des biens dispensés gratuitement et en abondance) et sert d’aliment au règne animal qui constitue par lui-même une chaine alimentaire bien structurée où les gros mangent les petits.

Avec son régime omnivore très adaptatif, l’être humain s’est toujours trouvé « en haut » de la chaine alimentaire, constituant le super-prédateur par excellence. Cette place apparemment confortable ne lui faisait pas moins subir une certaine précarité. Notre espèce est physiologiquement fragile (ne pas abuser des baies et champignons toxiques, du gibier avarié) et nous avons un besoin vital de nous alimenter régulièrement (je ne parle pas de nos trois repas, plus apéro !).

D’un point de vue anthropologique, la question de l’alimentation s’est donc toujours posée en termes de sécurité (quantité suffisantes d’aliments de qualité), y compris plus tard, une fois l’agriculture inventée.

L’abandon de notre souveraineté alimentaire

A la fin du XVIIIème siècle, l’industrialisation et l’exode rural mettent en place le cadre de la société moderne de consommation. Avec la Révolution industrielle et la croissance des grandes villes, l’homme se trouve brusquement obligé de confier le soin de produire ses aliments à des tiers.

Aujourd’hui, la majorité d’entre nous effectue l’essentiel de ses achats alimentaires au supermarché local, c’est-à-dire auprès de la grande distribution qui sert aux consommateurs la palette infinie des produits issus de l’industrie agro-alimentaire. Cette industrie oligopolistique a mis sous coupe réglée producteurs et consommateurs, en organisant des circuits de production d’une immense complexité technologique, sous prétexte de qualité et d’optimisation.

En vérité, c’est à la seule logique du profit et de la rationalisation extrême qu’obéissent les organisations industrielles complexes et opaques qui produisent ce que l’on nous donne à manger.

[quote author= » »]Nous avons abandonné notre souveraineté alimentaire à des entreprises arrogantes et voraces. [/quote]

Avec ce changement radical de paradigme, le modèle alimentaire simple et lisible se trouve remplacé pour la plupart des humains par un autre, opaque et complexe, au terme duquel ce sont des organisations privées à but lucratif qui pourvoient à notre alimentation quotidienne.

Un système complexe et opaque visant à maximiser le profit

Orchestrés par la techno-science, ces organismes peuvent confisquer tous les stades de la chaine de production et de distribution des aliments et conduire la marche vers le progrès. On nous promet d’accéder enfin à la sécurité alimentaire, un rêve vieux de plusieurs millions d’années, pensez donc : tous les jours, pour chacun suffisamment à se nourrir, sans avoir peur des lendemains.

Or tout ceci n’est que mensonge. Dans les faits, on ne peut pas faire confiance à ces organisations à qui nous avons aliéné nos libertés les plus fondamentales ; elles sont voraces et arrogantes. Puissamment structurées, elles se sont assurées la maitrise de tout ce qui touche à notre alimentation et la manière dont elle est produite, dans le but unique de servir leurs seuls intérêts financiers et capter des marchés économiques qui pèsent chaque année plusieurs centaines de milliards.

En imposant une complexité toujours plus grande dans l’élaboration et la fabrication des produits alimentaires, en exacerbant le goût du consommateur pour l’« innovation », en s’enfermant derrière une muraille opaque de normes et de réglementations soi-disant protectrices, le lobby agro-alimentaire et son valet, la grande distribution, sont parvenus à confisquer notre souveraineté alimentaire, pour leur plus grand profit et notre plus grand malheur.

Ce qu’on nous donne à manger aujourd’hui

D’un point de vue anthropologique, les hominidés avec leur régime alimentaire omnivore ont survécu depuis quelques millions d’années en se nourrissant de végétaux et d’animaux sauvages. Très récemment à l’échelle du temps (dix ou douze mille ans tout au plus), l’homo sapiens a effectué sa révolution néolithique, étendant sa souveraineté alimentaire et sortant un peu plus de la précarité avec l’agriculture et l’élevage.

Au XXeme siècle, la « révolution verte » et la prise de pouvoir du lobby agroalimentaire ont bouleversé le modèle économique de toute la société, un modèle vieux de millions d’années. En trois ou quatre générations, la population d’un pays comme la France, essentiellement rurale qu’elle était et principalement occupée à produire ses aliments, ne compte plus que quelques milliers d’agriculteurs professionnels, moins de 1% de la population, devenus de simples exécutants dans la chaine de valeur des aliments, sans vision, ni contrôle.

[quote author= »Pierre Rabhi »]Avant le repas, on avait l’habitude de se dire « bon appétit » ; aujourd’hui, il vaut mieux se souhaiter bonne chance [/quote]

Aujourd’hui l’agriculture conventionnelle est devenue une vaste machine à transformer des intrants (technologie, pétrole, engrais) en choses à ne pas mettre dans son assiette. Vous n’imaginez pas lorsque vous achetez une simple salade à l’étal de votre supermarché la quantité de CO2 et de chimie qui a été déployée pour obtenir le malheureux légume vert.

Reprendre le contrôle de notre alimentation

Cette confiscation de notre souveraineté alimentaire apparaît ‘hui particulièrement néfaste. Notre système soi-disant moderne et efficace laisse les 4/5 èmes de la population mourir de faim et empoisonne le reste, en nous submergeant sous le superflu.

L’industrie agroalimentaire épuise les ressources de la planète, compromettant les marges de manœuvres de nos enfants. Elle fait preuve d’arrogance et s’arroge un pouvoir exorbitant dans la production et la distribution alimentaire qui peut être vu comme une menace jpour la démocratie.

Il est urgent de se débarrasser d’un système qui profite aux seuls intérêts financiers de quelques grands acteurs privés, au mépris de l’intérêt général et de celui des générations futures.

Nous en reparlerons très bientôt (à suivre donc).