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La forêt amazonienne et la notion d’intérêt général

Ceux qui sont des habitués de ces colonnes connaissent machronique mensuelle sur le blog collectif d’Oliver Marone Envie d’entreprendre.

Je dois ce mois-ci parler de l’intérêt général, une notion toujours difficile à cerner. J’y réfléchis depuis un moment mais je ne sais comment prendre la question. Pourtant elle se pose chaque fois que l’association prétend à des subventions publiques ou délivre des reçus fiscaux en application de l’article 200 du CGI. Bien sur il y a des instructions fiscales, de la jurisprudence administrative et de nombreuses doctrines mais reconnaître le caractère d’intérêt général de tel ou tel projet reste toujours délicat.

Bref je séchais lamentablement sur ma copie lorsque je recois ce mail (merci à lisa pour le TR:). Je dois reconnaître que j’ai réçu un grand choc.

Il s’agit de la réponse du ministre brésilien de l’Education, Cristovam Buarque, interrogé au sujet de l’internationalisation de l’Amazonie, lors d’un débat dans une université aux^Etats-unis d’Amérique du nord ,

Le jeune étudiant américain commença sa question en espérant la réponse d’un humaniste et non celle d’un Brésilien.

La réponse de Cristovam Buarque est vraiment celle d’un humaniste : un homme qui d’un seul regard parvient à saisir et restituer le monde qui l’entoure dans toute sa profondeur et sa complexite.

Au-delà de l’exercice de style, ce monsieur propose une façon de voir les choses qui ne peut laisser insensible. Ecoutez-le parler de l’intérêt général :

En effet, en tant que Brésilien, je m’élèverais tout
simplement contre l’internationalisation de l’Amazonie. Quelle que soit l’insuffisance de l’attention de nos gouvernements pour ce patrimoine,
il est nôtre.

En tant qu’humaniste, conscient du risque de
dégradation du milieu ambiant dont souffre l’Amazonie,
je peux imaginer que l’Amazonie soit
internationalisée, comme du reste tout ce qui a de
l’importance pour toute l’humanité. Si, au nom d’une
éthique humaniste, nous devions internationaliser
l’Amazonie, alors nous devrions internationaliser les
réserves de pétrole du monde entier.

Le pétrole est aussi important pour le bien-être de
l’humanité que l’Amazonie l’est pour notre avenir. Et
malgré cela, les maîtres des reserves de pétrole se
sentent le droit d’augmenter ou de diminuer
l’extraction de pétrole, comme d’augmenter ou non son
prix.

De la même manière, on devrait internationaliser le
capital financier des pays riches. Si l’Amazonie est
une réserve pour tous les hommes, elle ne peut être
brûlée par la volonté de son propriétaire, ou d’un
pays.

Brûler l’Amazonie, c’est aussi grave que le chômage
provoqué par les décisions arbitraires des
spéculateurs de l’économie globale. Nous ne pouvons
pas laisser les réserves financières brûler des pays
entiers pour le bon plaisir de la spéculation.

Avant l’Amazonie, j’aimerai assister à
l’internationalisation de tous les grands musées du
monde. Le Louvre ne doit pas appartenir à la seule
France.

Chaque musée du monde est le gardien des plus belles
oeuvres produites par le génie humain. On ne peut pas
laisser ce patrimoine culturel, au même titre que le
patrimoine naturel de l’Amazonie, être manipulé et
détruit selon la fantaisie d’un seul propriétaire ou
d’un seul pays.

Il y a quelque temps, un millionnaire japonais a décidé d’enterrer avec lui le tableau d’un grand maître. Avant que cela n’arrive, il faudrait internationaliser ce tableau. Pendant que cette rencontre se déroule, les Nations unies organisent le Forum du Millénaire, mais certains Présidents de pays ont eu des difficultés pour y assister, à cause de difficultés aux frontières des Etats-unis. Je crois donc qu’il faudrait que New York, lieu du siège des
Nations unies, soit internationalisé. Au moins Manhattan devrait appartenir à toute l’humanité. Comme
du reste Paris, Venise, Rome, Londres, Rio de Janeiro, Brasilia, Recife, chaque ville avec sa beautéparticulière, et son histoire du monde devraient appartenir au monde entier.

Si les Etats-unis veulent internationaliser
l’Amazonie, à cause du risque que fait courir le fait
de la laisser entre les mains des Brésiliens, alors
internationalisons aussi tout l’arsenal nucléaire des
Etats-unis. Ne serait-ce que par ce qu’ils sont
capables d’utiliser de telles armes, ce qui
provoquerait une destruction mille fois plus vaste que
les déplorables incendies des forêts Brésiliennes.

Au cours de leurs débats, les actuels candidats à la
Présidence des Etats-unis ont soutenu l’idée d’une
internationalisation des réserves forestières du monde
en échange d’un effacement de la dette. Commençons
donc par utiliser cette dette pour s’assurer que tous
les enfants du monde aient la possibilité de manger et
d’aller à l’école. Internationalisons les enfants, en
les traitant, où qu’ils naissent, comme un patrimoine
qui mérite l’attention du monde entier. Davantage
encore que l’Amazonie.

Quand les dirigeants du monde traiteront les enfants
pauvres du monde comme un Patrimoine de l’Humanité,
ils ne les laisseront pas travailler alors qu’ils
devraient aller à l’école ; ils ne les laisseront pas
mourir alors qu’ils devraient vivre.

En tant qu’humaniste, j’accepte de défendre l’idée
d’une internationalisation du monde. Mais tant que le
monde me traitera comme un Brésilien, je lutterai pour
que l’Amazonie soit à nous. Et seulement à nous !

Il paraît que ce texte n’a pas été publié. Curieux …