Association1901.fr

Votre projet collectif a-t-il vraiment besoin d’une association ?

J’ai souvent mis en garde les fondateurs d’association contre une certaine illusion qui donne à croire qu’en s’épuisant à créer une association, on fait avancer sa cause. L’actualité invite à nouveau à réfléchir sur l’opportunité d’institutionnaliser les projets collectifs ; c’est la question qui se pose à tous les fondateurs : faut-il organiser d’abord pour agir ensuite, ou bien au contraire, privilégier l’action, persuadé qu’il sera toujours temps de s’organiser ?

Pour répondre à cette question, il faut être conscient que dans un projet collectif, les individus doivent librement accepter de se mettre au service d’une cause commune. Ce renoncement des personnes à servir exclusivement leur intérêt personnel n’est possible qu’à la condition  que soit promis aux participants la création d’un commun, un nouveau « bien » -matériel ou immatériel, avec ou sans valeur marchande- qui sera partagé entre les parties prenantes et autour duquel sera mobilisée la communauté des personnes.

Il peut s’agir simplement du temps passé ensemble dans une pratique commune, d’un bien matériel exploité en commun, d’un sujet d’intérêt commun, à propos duquel chacun sera prêt à échanger, d’une grande cause ou de la défense de certaines valeurs, auxquelles tous les participants souhaitent se rallier… Quel que soit ce « bien », il doit apparaître tout au long du projet aux yeux de chaque participant comme suffisamment précieux pour motiver son engagement.

Comment créer un bien commun ?

La création d’une structure juridique ad hoc pour porter le projet collectif est bien souvent le premier commun qui est proposé aux parties prenantes. Ce processus d’institutionnalisation passe par la création d’une personne morale, un nouvel individu – non biologique – reconnu par le système comme entité autonome et légitime, possédant des droits et des obligations.

Il y a là une certaine logique puisque dès qu’une communauté de personnes se constitue dans un but commun, se pose la question des règles qui vont régir le fonctionnement de ce groupe et ses interactions avec le monde extérieur.

La première question est en général : comment organiser le fonctionnement du groupe pour rendre possible la mobilisation efficace des individus autour d’un projet commun, le dépassement des logiques égoïstes, de manière à rendre le projet autonome des personnes qui le portent, à empêcher son appropriation par des intérêts privés, à l’inscrire le cas échéant dans une logique non-marchande ?

Cette question est habituellement résolue par le recours à l’institutionnalisation du projet qui conduit à organiser un cadre collectif et à fixer des règles de gouvernance.  L’institutionnalisation du projet remplit deux fonctions : d’une part, la création d’un bien commun, sous la forme d’une organisation ouverte à la participation des parties prenantes et d’autre part, l’inscription du projet dans un ordre juridique global, garant de la capacité d’action du collectif et de sa reconnaissance par les autres acteurs.

Du point de vue juridique, l’institution porte en elle à la fois la régulation du fonctionnement collectif des individus impliqués et l’inscription du projet dans l’ordre public, indispensable pour permettre au collectif d’agir dans son environnement.

Dans la pratique, on constate que la demande d’institutionnalisation exprimée par les parties prenantes est d’autant plus élevée qu’elles craignent (à tort ou à raison) les dérives du projet. L’institutionnalisation, qui consiste finalement à créer une structure ad hoc destinée à s’emparer du projet, apparait comme une parade face aux risques de dérives du projet ou de confiscation par des intérêts privés.

Il faut également être conscient que le besoin d’institutionnalisation exprimé par les parties prenantes est d’autant plus fort que le bien commun, objet et raison d’être du projet, trouve des difficultés à s’incarner, ici et maintenant, auprès des individus concernés. Les contreparties institutionnelles conférées aux parties prenantes au sein de l’organisation servent souvent à combler un vide existentiel du projet, soit que la notion d’intérêt général y semble trop diluée (exemple des projets de défense de l’environnement), soit que la participation des parties prenantes au projet est en réalité insignifiante ou nulle (exemple des associations considérant leur parties prenantes comme des clients ou des usagers).

L’institutionnalisation, un mal (pas toujours) nécessaire

On ne rentrera pas ici dans le détail des nombreux inconvénients liés à la création d’une structure spécifique en charge de porter un certain projet. Il me semble évident que le fait de spécialiser une structure sur un objectif d’intérêt général concrétise une première confiscation du projet. Par ailleurs, l’institutionnalisation n’est pas toujours une démarche triviale ; elle peut absorber une grande partie de l’énergie des premiers poteurs du projet, devenir l’objet de dissensions entre eux, ou bien se heurter à des barrières sociales ou réglementaires,

D’un point de vue sociologique, la création ex nihilo d’un nouvel acteur dans un contexte donné met cet environnement temporairement sous tension, en ce sens qu’il induit le changement d’un pseudo-équilibre qui s’était installé. La nouvelle organisation veut s’approprier le projet et à elle-seule l’incarner ; elle souffrira difficilement la concurrence ou la critique, n’acceptera de considérer comme partie prenante que ses propres participants. On connait la réticence des individus comme des organisations au changement (j’en ai parlé ici).

Avant même toute action concrète, la seule institutionnalisation d’un projet collectif, quel que soit sa légitimité, sa popularité, l’engouement des parties prenantes, commence par questionner la légitimité des acteurs déjà institués (quartier, commune, milieu économique et professionnel, nation…). Cette rupture de l’équilibre quo ante peut être féconde à certains égards, mais elle sera souvent et surtout source de conflits de légitimité.

Quelles alternatives ?

Pour toutes ces raisons, la création d’une nouvelle association pour abriter un projet collectif devrait toujours avoir un caractère subsidiaire. On ne doit pas considérer qu’il s’agit de la seule option et surtout il faut constater que ce n’est pas nécessairement la plus efficace en termes de fonctionnement, ni la plus performante sur le plan de la gouvernance.

Avant de créer une nouvelle organisation pour loger un projet d’intérêt général, il faut donc se poser la question de la présence d’une institution existante, quelle qu’elle soit, qui aurait déjà vocation à porter le projet. Je pense par exemple aux projets portés par des habitants (regroupements festifs, aménagements collectifs…) qui naissent dans des copropriétés horizontales et qui cherchent à se développer dans une association 1901. On retrouve souvent cette « association des résidents »  en conflit ou « sous la coupe réglée » de la copropriété. Certes la loi de 1960 organise des copropriétés particulièrement lourdes en terme de gestion, avec des résultats discutables sur le plan de la gouvernance ; toutefois, l’institution du conseil syndical permet une certaine autonomie, qui -la plupart du temps- suffirait pour conduire de manière satisfaisante des projets d’intérêt collectif, sans avoir à en autonomiser l’organisation.

Pour ceux qui impulsent des projets, il y aura toujours intérêt à se poser la question de la présence d’une institution préexistante qui serait légitime et efficace pour porter le projet. Face à cette institution, il faut mettre en place un critère d’éligibilité reposant sur 4 questions.