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Réforme des collectivités territoriales et clause de compétence générale : dossier documentaire

Il est certain que le projet de réforme des collectivités territoriales qui s’annonce va avoir un impact significatif sur le paysage associatif français. On veut soit-disant se débarrasser du « mille-feuilles » territorial et de ses financements croisés qui seraient sources de gaspillage et de déficit. Il est question de supprimer pour les régions et les départements la fameuse compétence générale qui permettait à ces collectivités de financer tous types d’activités, du moment qu’elles présentaient un intérêt général local.

Nous nous sommes fait l’écho sur ce blog des inquiétudes du monde sportif.

Pour essayer d’y comprendre quelque chose, je me suis livré à un petit travail de compilation des principaux textes qui ont préfiguré ce projet de réforme, une compilation de ce que j’ai trouvé, par ordore chronologique.

La mission parlementaire sur la clarification des compétences des collectivités territoriales

Présidée par M. Jean-Luc WARSMANN,  cette mission a rendu un RAPPORT D’INFORMATION en octobre 2008, rapport rédigé par MM. Didier QUENTIN et Jean-Jacques URVOAS, Députés,

Le but de la mission était d’identifier les dysfonctionnement liés au mille-feuille territorial. Dans ce rapport, les parlementaires s’interrogent à propos de la clause de compétence générale et constatent à partir des sources juridiques que

La libre administration des collectivités territoriales n’implique pas nécessairement « clause générale de compétence »

Si l’article 1er de la Constitution prévoit toujours, conformément à l’histoire républicaine de notre pays, que « la France est une République indivisible », il précise également, depuis la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, que « son organisation est décentralisée ». Bien que cette consécration constitutionnelle soit récente, la décentralisation repose traditionnellement, en France, sur la mise en œuvre par le législateur du principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales : le troisième alinéa de l’article 72 de la Constitution précise ainsi que « dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s’administrent librement par des conseils élus ».

Naturellement, cette liberté n’est pas absolue, car elle est encadrée par le législateur et doit être conciliée avec d’autres principes constitutionnels – tels que l’indivisibilité de la République et de la souveraineté, l’unicité du peuple français, l’égalité des citoyens devant la loi, ou encore l’exigence d’un contrôle administratif et juridique par l’État. Plus généralement, la France demeure un État unitaire, par opposition aux États fédéraux, qui rassemblent des États fédérés dotés de gouvernements et de pouvoirs législatifs propres : en France, les collectivités territoriales disposent d’une personnalité morale distincte de l’État, mais il revient à la Nation et à l’État de prévoir et d’organiser leur existence.

Le principe de libre administration des collectivités territoriales concerne d’abord les relations entre celles-ci et l’État : le législateur ne pourrait, en restituant à l’État un nombre excessif de compétences, priver les collectivités territoriales du droit d’exercer librement certaines d’entre elles pour administrer leur territoire. Pour autant, il n’existe aucune définition a priori d’un « noyau dur » de compétences dont l’exercice serait inextricablement lié à la liberté des collectivités territoriales et qui, de ce fait, ne pourraient faire l’objet d’un transfert.

Le même constat peut être fait pour l’application du principe de libre administration aux relations entre les différentes catégories de collectivités territoriales. Ainsi, comme le remarque un auteur, ce principe ne devrait « pas aboutir à priver le législateur de toute possibilité de priver une collectivité territoriale de certaines de ses compétences pour les attribuer à une autre qu’il institue ou qui est déjà instituée », dès lors qu’un socle de compétences suffisant est préservé pour chaque collectivité.

À l’issue des auditions auxquelles elle a procédé, la mission considère qu’à ce jour, aucune jurisprudence constitutionnelle ne semble s’opposer à une modification des dispositions législatives du code général des collectivités territoriales visant à spécialiser davantage l’action de chaque catégorie de collectivités territoriales, le cas échéant en dérogeant, de manière ciblée, à la clause générale de compétence que la loi leur a reconnue. En effet, comme l’a souligné devant la mission M. Gérard Marcou, professeur de droit public à l’Université Paris I et directeur du Groupement de recherche sur l’administration locale en Europe (GRALE), cette clause générale de compétences n’a pas elle-même acquis une valeur constitutionnelle – contrairement au principe de libre administration des collectivités territoriales.

Néanmoins, si les représentants des associations d’élus locaux se sont déclarés favorables à des modifications de la répartition des compétences, la plupart d’entre eux, à l’exception notable de M. Alain Rousset, président de l’Association des régions de France (ARF), se sont également déclarés opposés à une suppression de la clause générale de compétence pour une ou plusieurs catégories de collectivités territoriales.

Ce qui paraît étonnant à les lire, c’est que rien finalement (ou pas grand’chose) ne limiterait le pouvoir du législateur de décider de la spécialisation des compétences des collectivités.

En conséquence, même s’il doit s’efforcer d’éviter toute erreur manifeste d’appréciation lorsqu’il répartit les compétences entre les différents niveaux de collectivités territoriales, le législateur ne semble guère contraint par la Constitution quant au contenu de cette répartition. Comme le note le professeur de droit public Michel Verpeaux, « dans un État unitaire, c’est la loi qui fixe essentiellement les compétences de chacun des niveaux d’administration » et notre Constitution demeure « muette quant au partage concret des compétences entre les différents niveaux d’administration ». Le professeur Gérard Marcou, entendu par la mission, considère également que le deuxième alinéa de l’article 72 de la Constitution « n’est sans doute pas de nature à autoriser le Conseil constitutionnel à contrôler l’appréciation portée par le législateur sur la question de savoir si telle compétence pourra être mieux mise en œuvre par la commune, la région ou le département »

La mission parlementaire prêche pour la spécialisation des compétences des collectivités. A chaque échelon serait attribué une liste de compétences bien précises, par exemple :

Un exemple de compétence à réserver aux communes et intercommunalités : les équipements sportifs

Les collectivités territoriales exercent des compétences dans le domaine du sport de deux manières, par la construction d’équipements sportifs, et par le versement de subventions aux associations et sociétés sportives.

Le Conseil d’État a reconnu la mission éducative et sociale des associations sportives, ce qui légitime un soutien financier des collectivités territoriales (127). Par conséquent, les associations sportives et notamment les associations « support » des clubs professionnels peuvent bénéficier, en tant qu’organisme à but non lucratif et dès lors que leur activité présente un intérêt public local, de subventions de la part des collectivités territoriales.

La mission souhaite qu’en matière de financement du sport, une répartition plus équilibrée et plus cohérente des efforts puisse s’instaurer entre chaque niveau de collectivités. Elle vous propose pour cette raison de réserver aux communes et aux groupements de communes la construction des équipements sportifs, tandis que les autres échelons de collectivités pourraient intervenir pour subventionner les associations et sociétés sportives.

Le comité Balladur

Suite à ce commission parlementaire s’est tenu le (bien plus solennel) comité Balladur qui a beaucoup fait parler de lui, notamment à propos de la suppression de la taxe professionnelle.

Ce comité a fait 20 propositions pour réformer l’organisation territoriale de notre pays, dont 3 au moins concerne l’exercice par les collectivités de leurs compétences.

Proposition n° 11 : confirmer la clause de compétence générale au niveau communal (métropoles, communes nouvelles issues des intercommunalités et autres communes) et spécialiser les compétences des départements et des régions.

Une fois définis les champs de compétences respectifs de chaque niveau de collectivités locales, il est proposé que les départements et les régions ne puissent intervenir que dans les domaines de compétences que la loi leur attribue, de manière à limiter les excès des financements croisés. En revanche, afin de garantir aux élus les plus proches des populations et de leurs besoins la capacité de prendre des initiatives dans les cas non prévus par les textes législatifs et réglementaires, les communes dans leur forme actuelle, les communes nouvelles issues des intercommunalités et les métropoles exerceraient, outre leurs compétences d’attribution, une compétence générale. Par ailleurs, les départements conserveraient la faculté d’apporter leur concours aux investissements des communes.

Proposition n° 12 : clarifier la répartition des compétences entre les collectivités locales et entre celles-ci et l’Etat.

La répartition des compétences entre collectivités locales relève de textes multiples et épars. Il est proposé que les pouvoirs publics engagent et mènent à bien avant la fin de la présente législature une révision générale de ces compétences permettant de distinguer les compétences qui doivent demeurer partagées entre plusieurs niveaux d’administration locale, celles qui doivent être attribuées de manière exclusive à une seule catégorie de collectivités locales et celles qui sont susceptibles de faire l’objet de délégations de compétences.

Proposition n° 13 : prévoir, à l’occasion de la révision générale des politiques publiques, de tirer toutes les conséquences des lois de décentralisation, de telle sorte que les services ou parties de services déconcentrés de l’Etat qui interviennent dans le champ de compétences des collectivités locales soient supprimés.

Plus d’un quart de siècle après les grandes lois de décentralisation, l’Etat n’en a pas encore tiré les conséquences en termes d’organisation de ses services déconcentrés et de nombreux doublons subsistent, qui compliquent les procédures de décision et en alourdissent le coût. Il est proposé que chaque fois que l’Etat continue à intervenir dans une matière relevant des compétences exclusives des collectivités locales, il supprime les services ou parties de services déconcentrés correspondants.

Le projet de loi organique du gouvernement

Tout cela a été remixé par l’Elysée et (je suppose) les services du premier ministre pour déboucher sur un projet de loi organique. Pour lire un compte rendu complet du discours de N.S à propos de cette réforme, on peut consulter le site du Figaro !

Exposé des motifs

Ainsi, le projet prévoit que l’exercice de clarification des compétences et des cofinancements sera achevé dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi.
Il fera l’objet d’un travail interministériel et d’une concertation étroite avec l’ensemble des associations nationales d’élus.

Ce chantier sera engagé sur la base de principes clairs fixés par le projet de loi :
– la loi attribue des compétences à la région et au département qui sont, en principe, des compétences exclusives ;
– dès lors que la loi a attribué une compétence exclusive à une collectivité, cette compétence ne peut être exercée par une autre collectivité ;
– le département et la région se voient reconnaître une capacité d’initiative qui ne peut s’appliquer qu’à des situations et des demandes non prévues dans le cadre de la législation existante et qui doit être justifiée par un intérêt local ;
– à titre exceptionnel, l’exercice d’une compétence peut être partagé entre plusieurs collectivités territoriales. La loi peut alors désigner une collectivité chef de file ou laisser le soin aux collectivités intéressées de le faire par voie de convention.

En ce qui concerne les financements croisés, il convient d’instaurer la règle selon laquelle le maître d’ouvrage doit assurer une part significative du financement de ses investissements. Par ailleurs, les cofinancements doivent être limités aux projets dont l’envergure ou le montant le justifie ou répondre à des motifs de solidarité ou d’aménagement du territoire.

Texte de l’Article 35 du projet de loi

Dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, une loi précisera la répartition des compétences des régions et des départements, ainsi que les règles d’encadrement des cofinancements entre les collectivités territoriales, en application des principes suivants :

– la région et le département exercent, en principe exclusivement, les compétences qui leur sont attribuées par la loi ; dès lors que la loi a attribué une compétence à l’une de ces collectivités, cette compétence ne peut être exercée par une autre collectivité ;

– la capacité d’initiative de la région ou du département ne peut s’appliquer qu’à des situations et des demandes non prévues dans le cadre de la législation existante, dès lors qu’elle est justifiée par l’intérêt local ;

– lorsque, à titre exceptionnel, une compétence est partagée entre plusieurs niveaux de collectivités, la loi peut désigner la collectivité chef de file chargée d’organiser l’exercice coordonné de cette compétence ou donner aux collectivités intéressées la faculté d’y procéder par voie de convention ; la collectivité chef de file organise, par voie de convention avec les autres collectivités intéressées, les modalités de leur action commune et de l’évaluation de celle-ci ;

– la pratique des financements croisés entre les collectivités territoriales doit être limitée aux projets dont l’envergure le justifie ou répondre à des motifs de solidarité ou d’aménagement du territoire ; le maître d’ouvrage doit assurer une part significative du financement.

Contexte européen

J’avoue que de ce côté, j’ai du mal à me faire une idée bien claire

Extrait d’un dossier de la lettre du Maire (50 questions à propos des SIG)

Qui définit, organise, fournit et finance les SIG ?
Toute autorité publique, nationale, régionale ou locale, ou toute entité mandatée à cet effet,
dispose du large pouvoir discrétionnaire d’organiser, de fournir, faire fournir et de financer les SIG« d’une manière qui réponde autant que possible aux besoins des utilisateurs ». Ce pouvoir discrétionnaire, récemment rappelé par la Cour de justice (arrêt « Bupa »), a été explicité par le traité au moyen du protocole SIG. Il donne aux Etats membres la compétence de créer de nouveaux SIEG en fonction de l’évolution des besoins qu’ils jugent nécessaire de satisfaire mais également de les déqualifier (ex. de la collecte du Livret A en France suite à sa libéralisation exigée par Bruxelles).

Ce pouvoir discrétionnaire des Etats membres reste cependant soumis au contrôle de l’erreur
manifeste d’appréciation par la Commission et la CJCE en matière de définition du SIEG.

La question qui reste posée est la suivante : est-ce qu’il existe quelque chose dans la jurisprudence de la Cour de Justice qui restreindrait le pouvoir des Etats membres de limiter la marge de manoeuvre d’une autorité administrative -je pense évidemment aux collectivités territoriales- pour créer un service d’intérêt général ?

S’il y a ici des spécialistes de droit européen et des bons connaisseurs de la directive « services », je suis preneur de vos idées là-desssus…