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Compétence vs. appétence ou comment organiser la ressource bénévole

Récemment j’ai animé un séminaire de réflexion stratégique dans une association de défense des droits. Le contexte était celui du désengagement de l’équipe dirigeante et de la nécessaire réorganisation qui devait en résulter.

L’un des dossiers de ce séminaire concernait la répartition des taches entre un plus grand nombre de bénévoles. Les solutions proposées librement par les participants visaient toutes à un objectif d’efficacité, une forme d’industrialisation des activités associatives, Toutes les propositions d’organisation tournaient autour de l‘identification de compétences au sein du vivier des membres pour combler le besoin de prise en charge de taches fonctionnelles plus ou moins bien identifiées.

Les gens proposaient tous peu ou prou de transposer un modèle organisationnel issu de l’entreprise au fonctionnement de leur association, toujours sur la base de ces notions de compétences et d’efficacité.

Une transposition rapide des usages de l’entreprise

Pour prendre en charge les taches dans une entreprise, on recrute des personnes sur la base de leurs compétences. La marché du travail lui-même est organisé autour de cette notion de compétence, valorisant les savoir-faire rares ou à haute valeur ajoutée. Ce qui est rare et cher, nous le savons tous, c’est la COMPETENCE !

« The right man at the right place » pourrait décrire cette logique d’organisation donnant à la compétence une suprématie de principe. Doit-il en être de même dans une association, organisme qui n’est pas tourné vers la profit tout en restant assujetti aux exigences d’efficacité et d’optimisation ?

Autrement dit, je me demande s’il est judicieux de recruter et d’organiser les bénévoles en fonction de grille de compétences et de modèles d’organisation hérités du secteur marchand. Et si je pose la question, c’est que je ne le crois pas.

L’illusoire « objectivation » de la compétence

Gérer l’organisation de l’association en termes de compétences est rassurant pour tout le monde et permet d’asseoir un mode d’exercice du pouvoir peu sujet à discussion. La compétence, hormis sa référence au monde de la production et de la performance, confère à l’organisation des ressources humaines une légitimité apparente et un semblant de professionnalisme. « A chacun selon ses compétences » permet à ceux qui désignent les compétences requises et qui les identifient chez les personnes volontaires de décider de manière plus ou moins tacite « qui fait quoi » dans l’association, bref d’exercer le pouvoir.

Dans la réalité, les process associatifs sont souvent atypiques et  les taches prises en charge par les bénévoles requièrent des « compétences » particulièrement difficiles à identifier. Dans les faits, on constate que ce n’est pas vraiment la compétence qui fait le succès d’un individu dans sa mission bénévole, mais plutôt son « profil« , la combinaison de ses qualités naturelles et de son expérience humaine.

La compétence reste une notion floue, délicate à définir et à reconnaître. Elle correspond  à un idéal théorique dans un modèle d’organisation hiérarchique et pyramidal adapté à des process précis et bien identifiés, comme on en trouve dans les (grandes) entreprises et les administrations. La réalité associative du bénévolat est souvent très différente de cela : les organisations y sont plus fluctuantes, la prise en charge des responsabilités n’est jamais pérenne et le modèle d’organisation doit être suffisamment souple pour s’adapter à la volatilité de la ressource bénévole.

L’exercice d’une compétence ne fait pas partie des motivations fondamentales du bénévolat

Si l’on s’en tient aux motivations déclarées par les bénévoles, ce n’est pas une démarche très judicieuse que d’aller recruter ses volontaires en proposant un catalogue de compétences requises, à la manière d’une annonce de Pôle-Emploi.

Dans un enquête de l’INSEE sur les motivations des bénévoles, les raisons les plus souvent invoquées pour expliquer leur engagement sont, dans un ordre décroissant, « être utile à la société et faire quelque chose pour les autres » (66 % des bénévoles), « rencontrer d’autres personnes et se faire des amis » (58 %), « s’épanouir et occuper sont temps libre » (49 %), « défendre une cause » (33 %), « pratiquer un sport ou une activité culturelle » (26 %), « défendre ses droits et ceux des autres » (23 %), « aider ou défendre les intérêts de sa famille ou d’autres membres de son entourage » (16 %), « avoir accès à des renseignements ou des services » (13 %), « acquérir ou exercer une compétence » (8 %).

La sacro-sainte compétence apparaît loin dans le classement. On se douterait : l’endroit où les gens exercent leurs compétences, c’est avant tout leur lieu de travail, le reste du temps, ils préfèrent faire autre chose…

L’organisation par les compétences stérilise le terreau associatif

La primauté donnée à la compétence pour organiser l’association conforte le modèle « top-down », avec une hiérarchie des compétences formulée par les dirigeants à partir des seules contraintes opérationnelles.

La compétence est nécessairement individuelle ; elle réside dans une personne identifiée qui est réduite à ses savoir-faire supposés. On néglige la dimension collaborative des chantiers associatifs et les synergies du travail en équipe. On favorise l’isolement du bénévole (celui-ci censé être compétent, n’ayant plus besoin de personne) et on détruit le lien social inhérent à la transmission interne des savoirs.

Dans les grandes entreprises, la gestion des compétences fait l’objet d’une démarche industrielle, dont la plupart des associations sont incapables faute de moyens adaptés. Il s’agit certes de recruter en fonction de besoins de compétences, mais aussi (et surtout) de développer en interne les compétences spécifiques requises par le métier (dans le souci d’optimiser les carrières et d’anticiper les besoins de l’entreprise).

Parce que la ressource bénévole est rare et volatile, les associations donnent la primauté aux compétences acquises et avérées (souvent les compétences professionnelles) dans un souci d’efficacité et de pragmatisme, oubliant en général de proposer ou d’accompagner l’acquisition de nouvelles compétences par les bénévoles.

Susciter l’envie, le secret du management associatif

Le management associatif ne consiste pas à identifier des compétences, quoi qu’on en écrive à certains endroits. Il consisterait plutôt à susciter chez des personnes de bonne volonté l’envie de réaliser quelque chose.

A la différence de salariés, les bénévoles participent à l’organisation parce qu’ils en ont envie. Ce volontarisme est à la base de leur engagement bénévole. Il faut donc cultiver chez les bénévoles l’envie de faire (et si possible « faire ensemble ») ; c’est là à mon sens le principal défi des dirigeants associatifs.

Concrètement pour préparer la succession de ma trésorière, je ne m’épuise pas à chercher l’oiseau rare qui aurait des compétences comptables. Je préfère proposer à la communauté des adhérents la possibilité pour une ou plusieurs personnes de se former à la micro-informatique et à la comptabilité associative avec Yasmina (ma future ex-trésorière). Ces quelques séances de formation proposées gratuitement par l’association et animées par un dirigeant dynamique et compétent 😉 seront plus utiles que tout processus de recrutement, aussi sophistiqué soit-il.

Viser exclusivement la compétence ne peut conduire qu’à la prise en charge (plus ou moins réussie) de taches pour le compte de l’organisation. Susciter l’envie aboutit -lorsqu’elle se concrétise- à la réalisation du projet individuel de personnes. La différence est fondamentale et elle mérite d’être prise en compte par tout dirigeant associatif.

C’est également pour cette raison qu’il est souvent préférable de gérer l’association comme un ensemble de projets plutôt que comme une organisation matricielle. Les membres se lieront plus facilement à des chantiers ou des projets bien identifiés qu’à une fonction ou une tache au sein de votre savante grille.

Publié initialement le : 2 avril 2012