Association1901.fr

Le peer-to-peer lending ou comment les 1% comptent reprendre la main

En cette période de fêtes, permettez-moi un petit billet presque « hors sujet » à propos d’une question qui me tient à cœur et dont j’ai peu eu l’occasion de m’entretenir avec vous, la crise profonde que traverse notre système financier (dont on espère qu’il ne sortira pas indemne) et ses conséquences sur le paysage économique et bancaire.

L’essor du prêt entre particuliers, le peer-to-peer lending

Les Echos consacraient dans leur numéro daté du 26 décembre plusieurs articles à l’essor du prêt entre particuliers, une pratique qui nous vient des Zuessa et qui a été célébrée en son temps comme l’avènement de la banque 2.0, un système de crédit qui permet de se passer de l’intermédiation des vilains banquiers.

Le Peer to Peer lending repose en général sur une plate-forme internet qui met en relation des emprunteurs avec des prêteurs, permettant de court-circuiter le système bancaire. Il existe déjà outre-Atlantique quelques poids lourds dans ce secteur, notamment le Lending Club, la plus grosse plate-forme de prêts avec plus de 456 millions de dollars de crédit accordés, née dans le giron de Facebook en 2007.

En France, le démarrage a été plus long du fait des barrières réglementaires très difficiles à franchir qui protègent le monopole des établissements de crédit. Par exemple le beau projet de Friendsclear (à qui j’avais prédit un échec) n’a pas pu se concrétiser et s’est transformé un simple auxiliaire bancaire, apportant des financements de complément à des créateurs d’entreprise clients d’une caisse de Crédit Agricole.

En France où rien de ce qui touche à l’argent ne peut se faire sans l’aval du lobby bancaire, le Crédit Mutuel Arkéa a ainsi acquis 39 % du capital d’un « club » de prêteurs particuliers. Ce club baptisé Prêt d’Union se charge de lever des fonds auprès d’investisseurs particuliers qualifiés, qu’il réinvestit dans les lignes de prêts. Selon les Echos « depuis l’octroi de son agrément bancaire, fin septembre, il a levé 9 millions d’euros, moyennant des tickets de 2.000 à 250.000 euros et discute avec des « family offices » pour lever 5 autres millions. »

Une autre face du shadow banking

Vous allez me dire : mais tout çà, c’est très bien : çà fait la nique aux banques et en plus, le peer to peer, c’est les mp3, les petits jeunes qui téléchargent, bref des trucs sympas, de notre temps…

En fait, pas du tout, l’essor du prêt entre personnes sur ces plate-formes est quelque chose de parfaitement nauséabond, un nouvel avatar de cette économie de la dette qui permet l’asservissement de 99% de la population par une minorité de nantis détenant le pouvoir financier et confisquant les rouages de l’économie.

Petit retour en arrière pour placer le contexte. Depuis 30 ans, les investisseurs, ceux qui possèdent du patrimoine au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer confort et sécurité, sont habitués à des rendements toujours plus élevés pour leurs placements financiers. Comme les consommateurs et les citoyens qui réclament « toujours plus », les investisseurs sont drogués aux rendements à deux chiffres, poussant les entreprises dans une course effrénée au profit et les intermédiaires financiers dans les montages les plus improbables.

Or les taux d’intérêt sont aujourd’hui historiquement bas et les économies occidentales ne parviennent plus à générer de croissance. Le rendement des actifs financiers ne peut pas être longtemps déconnecté des taux d’intérêt et des taux de croissance économique. On peut trafiquer les choses pendant quelques temps (par exemple, les subprimes) mais tôt ou tard, on est rattrapé par la réalité.

Aujourd’hui, les investisseurs sont comme des alcooliques au sevrage : ils cherchent désespérément à placer leur argent là où ils pourraient retrouver les rendements élevés qu’ils ont connus par le passé. C’est l’une des causes du développement de ce qu’on appelle le shadow banking, la finance souterraine, cachée, s’affranchissant de toute réglementation et prospérant sur fond de paradis fiscaux.

Que faire quand les actifs financiers voient leur rendement s’effondrer et que la Bourse devient tellement volatile que même les grandes fortunes sont réticentes à s’y investir ?

La solution, c’est de se rabattre sur le pauvre. Comme toute le monde, le pauvre est drogué à la consommation et piégé par l’économie de la dette. Pour pouvoir consommer, le pauvre est prêt à signer n’importe quoi et gager ses (maigres et aléatoires) revenus futurs. Le pauvre veut s’acheter tous les trésors qui s’affichent sur les murs de la ville et il est prêt à s’endetter au prix fort pour cela.

Toujours selon les Echos, les investisseurs prêtant leur capitaux par le biais du club Prêt d’Union « sont rémunérés entre 5 et 6,5 %, selon la durée des crédits, [..]. Un taux élevé, qui a motivé la moitié des prêteurs, outre leur volonté de se retirer de la Bourse ou d’orienter leur épargne vers l’économie ». Tout est dit dans cette dernière phrase, c’est sans commentaire…

Le peer to peer lending, retour à la féodalité

« Orienter leur épargne vers l’économie »… En faisant du crédit à la consommation pour financer les fins de mois difficiles, l’écran plat définitivement hors de portée financière ou le rachat de crédits à des familles surendettées ! De qui se moque-t-on ?

Pendant les 20 ans que j’ai passé comme formateur dans les banques, j’ai pas mal travaillé avec les salariés octroyant ces crédits à la consommation et surtout ceux chargés de leur recouvrement (et j’avoue que cela a considérablement alourdi mon karma). Il ne faut pas se le cacher : le crédit à la consommation est un métier « sale » qui repose sur une aberration économique et l’exploitation éhontée de la faiblesse des gens. Dans l’univers, « rien ne se perd, rien ne se crée » et on ne peut consommer que ce que l’on produit. Pour être raisonnable et économiquement utile, le crédit qui anticipe la création de richesses futures devrait être réservé aux investissements (immobilier, création d’entreprise) qui sont générateurs de revenus (ce qui ne sera jamais le cas d’un écran plat).

Le crédit à la consommation est une vaste escroquerie légale, conduite par des institutions ayant pignon sur rue. En permettant à des personnes économiquement faibles ou fragiles de « vivre au dessus de leur moyens », les banques piègent les emprunteurs pendant des années, produisant misère, drames sociaux et exclusion. En 2011, le nombre de dossiers déposés auprès des commissions de surendettement a encore explosé (mais on dit çà chaque année). Selon la Banque de France, près de 950.000 ménages sont surendettés.

Evoquant la prise de participation du Crédit Mutuel Arkéa dans ce club de prêteurs, les Echos y voient « un retour aux bases du mutualisme ». Là encore, on croit rêver…

Rien à voir avec le mutualisme, mais seulement des riches, des très très riches (allez-voir dans l’article le pedigree de ces investisseurs, rien que du beau linge : Pierre-Antoine Dusoulier, président de Saxo Banque, à titre personnel, ou Olivier Mathiot, cofondateur de Price Minister) qui se donnent les moyens de tondre directement et sans intermédiaire la laine sur le dos à des pauvres, avec l’assentiment des autorités et la complicité des banques (particulièrement machiavéliques dans cette histoire, puisqu’après avoir généreusement distribué à chacun sa petite dose de crédit « conso », elles ferment le robinet (crise oblige) et livrent l’immense population des crédit-dépendants à la voracité des 1%).

Quelle éthique pour le crédit entre particuliers ?

Le crédit sans intermédiaire bancaire existe à de nombreux endroits dans le monde. Il s’agit par exemple des système de tontine qui sont pratiqués dans les communautés africaines ou asiatiques. La tontine (dont nous avons déjà parlé sur ce blog) est l’expression de la solidarité ou du soutien de la communauté envers l’un de ses membres. La tontine est un « pot commun » qui recueille l’épargne des participants. L’argent ainsi accumulé est prêté (ou donné) à l’un des membres qui connait des difficultés financières ou qui présente un projet nécessitant des capitaux.

La tontine fonctionne parce qu’elle repose sur un lien de proximité indispensable à la confiance : les membres de la tontine se connaissent entre eux et cette proximité constitue une garantie très solide pour la bonne fin de l’opération de crédit. En cas de difficulté de remboursement, la communauté tontinière sera capable de faire preuve de bienveillance à l’égard du débiteur, en l’aidant à surmonter ses difficultés plutôt qu’en installant un rapport de force visant au seul recouvrement de la créance.

Sous certaines conditions, je pense que la tontine pourrait dans notre pays être logée dans une association régie par la loi de 1901. Nous en reparlerons dans ces colonnes.